Du projecteur à la page blanche, en passant par l’écran, une belle partie de tennis se joue ici entre littérature et cinéma. Une idée de départ simplissime – comme souvent avec les bonnes idées. Antoine de Baecque a demandé à divers écrivains d’écrire une nouvelle sur leur film de chevet, c’est-à-dire de gratter au plus […]
Du projecteur à la page blanche, en passant par l’écran, une belle partie de tennis se joue ici entre littérature et cinéma.
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Une idée de départ simplissime – comme souvent avec les bonnes idées. Antoine de Baecque a demandé à divers écrivains d’écrire une nouvelle sur leur film de chevet, c’est-à-dire de gratter au plus intime de leur expérience du cinéma. Après un bel entretien avec Antonio Tabucchi en guise de « scène d’exposition », la visite des petits boudoirs filmiques commence et l’on prend connaissance des rapports secrets tissés entre Thierry Jonquet et Freaks, Jérôme Charyn et Les 400 coups, Bernard Comment et Charles mort ou vif, etc. Ce qui frappe au premier abord – mais on aurait dû s’y attendre -, ce sont les écarts par rapport à une cinéphilie pure et dure ou à une ligne historique Cahiers. Ainsi, figurent ici des films de Clouzot, Logan, Curtiz ou Blier – pas spécialement des « auteurs Cahiers ». Quand Alexis Salatko pioche un Hitchcock, ce n’est pas Vertigo mais Frenzy, que la doxa n’a jamais considéré comme un Hitchcock majeur. Dans le même ordre d’idée, François Bon, qui a élu des documentaires sur les Rolling Stones, précise n’être allé que « vingt-sept fois au cinéma de 1967 à 1994 ». L’un des mérites de cet ouvrage collectif est donc de désacraliser le cinéma comme totem intouchable, de ne pas toujours rouler dans les boulevards d’une cinéphilie monolithique. Et puis, il y a les textes. Certains auteurs ont opté pour une méthode classique : parler du film qui a marqué leur vie. Ce n’est pas nécessairement original, mais il est intéressant de connaître le point de vue politique de Thierry Jonquet sur Freaks (« un film totalement subversif »), comme il est savoureux de savoir que Rocco et ses frères a bouleversé le jeune Enrique Vila-Matas… à cause de la nuisette d’Annie Girardot – un tremblement de terre érotique pour un gamin grandissant dans l’Espagne franquiste ; le reste- la chronique sociale, le mélodrame prolétaire, les critères esthétiques du néoréalisme -, Vila-Matas s’en tamponne le coquillard. D’autres auteurs ont choisi une méthode plus passionnante, mais aussi plus risquée : investir un champ purement littéraire à partir d’un film. En tricotant en mailles serrées les fils de Moonfleet et ceux de son enfance à Saigon, Linda Lê invente peut-être la plus belle réussite littéraire de ce collectif, en tout cas le texte qui colle le mieux à l’esprit du projet, à savoir : révéler comment un film traverse la conscience et imprègne l’inconscient de l’écrivain-spectateur, dévoiler les différents chemins par lequel le cinéma se faufile dans un coin du cerveau et, depuis là-haut, travaille une œuvre littéraire. Belle façon de montrer que rien n’est étanche, et surtout pas les différents champs de création. On pourrait ainsi envisager un autre livre qui serait La Musique des écrivains, ou bien un disque qui serait Le Cinéma des musiciens… Que les différentes disciplines artistiques se nourrissent les unes les autres a toujours été le pari de ce journal.
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