La première secrétaire du PS mène sa barque à son rythme. Au Sénégal, elle a surpris en préférant les artistes au Forum social mondial et son agenda à celui des médias. Est-elle complètement larguée ou est-ce une façon de laisser du temps au temps pour prendre le contrepied de Speedy Sarkozy ?
Gros embouteillages à Dakar. Sous un soleil de plomb, le Sénégal accueille la onzième édition du Forum social mondial, le rendez-vous de tous les alters de la Terre. Martine Aubry est arrivée la veille. S’il est prévu qu’elle passe au FSM, jusqu’au dernier moment, le doute plane. L’heure tourne et Martine Aubry a prévu de commencer son séjour par des rencontres avec des artistes sénégalais.
A 15 h 30, ce dimanche, rendez-vous est pris avec le sculpteur et ami Ousmane Sow. Pas question de décaler le rendez-vous ni de modifier son programme… Qu’on se le dise! Pourtant, au début de l’après-midi a lieu la grande marche d’ouverture du Forum, place de la grande mosquée, là où ont lieu toutes les grandes marches politiques de la ville. La foule est dense, les nationalités mélangées sous le soleil de Dakar, au son de Fela Kuti et des djembés.
La première secrétaire du PS arrive finalement vers 14 heures pour un petit tour de quarantecinq minutes. Avec la délégation fournie du PS qui l’accompagne – une quinzaine de personnes parmi lesquelles Benoît Hamon, Harlem Désir, Jean-Christophe Cambadélis, David Assouline, son directeur de cabinet Jean-Marc Germain… – et les caméras pour la plupart venues de France, elle ne passe pas inaperçue dans cette foule de manifestants. Tout ce qu’elle déteste : “On va se faire insulter avec toutes ces caméras”, marmonne-t-elle.
Son premier Forum social
Ça ne tarde pas, un Français lance sur le côté : ”On voit que c’est le temps des élections présidentielles !” La première secrétaire du PS qui dit être venue en ”cheffe de l’opposition” ne relève pas. Pas plus que quand elle entend quelques ”Martine présidente”. A Dakar, Martine Aubry fait son baptême du feu en se rendant à son premier Forum social, une manifestation qu’elle dit avoir toujours suivie de près mais à laquelle elle n’a jamais participé.
Le séjour prévu de longue date au Sénégal avait été repoussé deux fois avant d’être calé en plein rendezvous alter, sur fond de révolte tunisienne et de crise alimentaire avec flambée du prix des denrées. ”C’était tout bénéf pour l’expression du PS”, commente Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national à l’international.
”Martine Aubry à Dakar : c’est la rencontre entre une passion pour l’Afrique et une situation internationale. Ce contexte, il aurait fallu l’inventer qu’on n’aurait pas pu. Elle ne passe pas pour délivrer un discours”, glisse-t-il encore, mais pour ”reconstruire une politique de coopération avec l’Afrique alors que le PS n’en avait plus depuis Lionel Jospin”, commente Pouria Amirshahi, secrétaire national du PS à la coopération.
Le Sénégal, c’est le premier pays d’Afrique qu’elle a découvert – elle avait 25 ans –, avant de tomber amoureuse du Mali et du Burkina Faso. Sur le sol, le sable recouvre le bitume, les nids de poule sont légion quand tout à coup une belle route bitumée prend le relais. A l’horizon, de petites maisons basses. Il faut être dans le centre-ville pour voir les immeubles. ”Je suis contente d’être là, au Sénégal. L’Afrique nous rappelle où est l’essentiel par rapport à nos petites querelles”.
Elle enchaîne : ”Ouvrir ce Forum social mondial ici après ce qui s’est passé en Tunisie, c’est un grand espoir”, lance Martine Aubry, au milieu de cette foule près de Jean-Marc Germain et Harlem Désir, qui, pour l’occasion, s’improvisent garde du corps, l’un casquette sur la tête et l’autre cahier Moleskine rouge dans la poche de chemise. Dans la marche d’ouverture du Forum social, Jean-Christophe Cambadélis esquisse quelques pas de danse et invite la première secrétaire à le rejoindre, ce qu’elle refuse promptement.
« Avec Dominique, on est dans la même barque »
Pas question de verser dans le folklore ni de se prêter au jeu de la mise en scène… Quelques mètres plus loin, entre les chèvres qui broutent et les petits vendeurs d’arachides grillées, Martine Aubry poursuit : ”Je me sens plus proche de tous les gens qui sont là que tous ceux qui sont à Davos si vous voyez ce que je veux dire”, allusion au traditionnel sommet économique qui a eu lieu quelques jours plus tôt en Suisse et contre lequel le FSM s’est construit depuis la première édition en 2001. Et inutile de chercher la petite bête : cette année, Dominique Strauss-Kahn n’était pas à Davos…
Un DSK patron du FMI que certaines associations présentes sur place critiquent allègrement comme le représentant de leurs maux. Martine Aubry embraye : ”Je n’explique pas que le FSM et le FMI, c’est la même chose. Mais si on veut changer le monde on aura besoin des organisations internationales. Si certains se demandent pourquoi je suis là : avec Dominique, on est dans la même barque.” A voir.
La voilà qui déroule un discours que le mouvement altermondialiste ne renierait pas. « Le monde libéral nous a emmené dans le mur. Il faut retrouver les valeurs qu’on a oubliées, se confronter à cette société civile. C’est pour ça que nous sommes là, pour poser les bases d’un autre monde.”
Façon de renouer avec les ONG – qui n’avaient pas vu de premier secrétaire du PS depuis la venue de François Hollande à Porto Alegre, au Brésil, en 2002 –, qu’elle prend le temps de recevoir en marge du FSM.
”Si l’altermondialisme signifie qu’on veut construire un autre monde, oui je suis altermondialiste. Nous ne sommes pas dans un monde babas cool mais dans un monde d’hommes et de femmes qui disent qu’un autre monde est possible.”
Et de battre en brèche les idées reçues qui résument les alters à des gauchos : ”Je n’ai jamais pensé que le FSM, c’était l’extrême gauche, pour moi c’est le mouvement social, la société civile qui agit.” Elle s’étonne même : ”Dire que chaque homme et chaque femme doit manger à sa faim, est-ce gauchiste ? Se battre pour un meilleur accès à l’eau, est-ce gauchiste ?” Mais, ça y est, il est 14 h 45, l’heure d’aller à la rencontre d’Ousmane Sow, que son mari Jean-Louis Brochen lui a présenté il y a quinze ans.
Hop, hop, hop, en route, surtout pas question d’être en retard. En passionnée et collectionneuse d’art contemporain, Martine Aubry a concocté un après-midi culture pour l’ensemble de la délégation : visite d’une exposition photo, puis rencontre avec le designer sénégalais Ousmane M’baye, visite de sa maison et de l’atelier du peintre Soly Cissé.
Elle prend le temps de regarder chaque création, d’en commenter les ressemblances avec un Basquiat ou d’y déceler des références mythologiques. De quoi en déstabiliser quelques-uns dans la délégation socialiste qui ont du mal à rester en place, portable à la main et veste de ville sur le dos. Un déplacement de ”cinq jours (six après que son vol de retour a été retardé – ndlr) dans le calendrier qui est le sien, c’est au-delà de la norme”, s’enthousiasme Olivier Poivre d’Arvor, patron de France Culture et grand ami de Martine Aubry, qui s’est greffé à la délégation pendant quarante-huit heures.
« Passer du temps ici, c’est important, confiera Martine Aubry en petit comité. J’ai toujours fait comme ça. Par exemple, la Chine m’intriguait, eh bien j’y vais deux fois par an depuis trois ans. C’est comme ça qu’on apprend des choses, je ne sais pas si ça dénote…”, s’interroge-telle.
En politique, oui. Après le modèle du « président normal” dessiné par François Hollande et la fin de ”la dictature de l’urgence” prônée par Gilles Finchelstein, bras droit de DSK, esquisserait-elle à son tour son modèle présidentiel ? Celui du président qui prend son temps ? Pas la peine pourtant d’attendre de réponse sur ce terrain-là, elle esquive obstinément les questions sur 2012 et sa candidature. « Vous me posez la question chaque semaine. Je vous répondrai en juin (le dépôt des candidatures pour la primaire du PS commence le 28 juin – ndlr).” Et d’ici là, circulez ! Avec Martine Aubry, c’est quand elle veut.