On aura beau vouloir défendre la sacro-sainte primauté du réalisateur dans la paternité d’un film, il faut admettre que l’on a affaire dans Voyage interrompu au fruit d’un travail en collaboration : Satyajit Ray signe le scénario et les dialogues du film et son fils, Sandip, la mise en scène. Au cours d’un voyage interrompu […]
On aura beau vouloir défendre la sacro-sainte primauté du réalisateur dans la paternité d’un film, il faut admettre que l’on a affaire dans Voyage interrompu au fruit d’un travail en collaboration : Satyajit Ray signe le scénario et les dialogues du film et son fils, Sandip, la mise en scène. Au cours d’un voyage interrompu par une crevaison, un médecin de Calcutta maniant avec cynisme des théories malthusiennes découvre dans le fossé un pauvre hère agonisant. Soignera ? Soignera pas ? C’est qu’il est attendu au Rotary Club et que, médecin des riches, il entend bien ne pas sortir de sa fonction. Au problème des castes que soulevait Délivrance, Voyage interrompu substitue donc celui des classes, posant de manière plus universelle encore la question de la solidarité. Mais Voyage interrompu n’illustre pas une quelconque théorie de la révélation ; toute idée de transcendance est évacuée et l’on nous épargnera aussi la niaiserie philanthropique. Les Ray développent plutôt une éthique de la responsabilité dont le point de départ est toujours une prise de conscience individuelle. Il est significatif que ce soit le souvenir du serment d’Hypocrate qui pousse le médecin à agir. Il y a de l’impératif catégorique dans ce film et, comme chez Kiarostami, autre grand cinéaste laïc, le souci des autres n’implique pas la sympathie. Plus tard, confronté à la fille du malade, le docteur semble connaître une mutation plus profonde mais le film ne nous dit pas s’il tiendra ses engagements. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que le discours prévu pour le Rotary sera devenu, l’espace d’une nuit, obsolète. Forcément, on construit sur des fondations et celles-ci sont l’oeuvre de Satyajit Ray. Mais Sandip s’est démarqué par le choix des matériaux. Délibérement humble, précis, fuyant emphase et pathos, c’est avec une grande vigueur qu’il a bâti son film-maison là où le père, aristocratique jusque dans son humanisme, aurait édifié un palais solennel. Peut-être est-ce Sandip qui respecte au plus près cette maxime que Renoir confia à Satyajit Ray : « On n’a pas besoin de mettre beaucoup de choses dans un film mais il faut prendre soin de ne mettre que des choses justes. » Au sens plein d’exactitude et de justice.
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