Derrière son apparente simplicité et son classicisme bon teint, Les Apprentis remue son lot d’affects troubles. Le cinéma français, on le sait, n’est pas précisément en panne d’auteurs. De Vautre côté du spectre de la production, les comédies grasseyantes et les reconstitutions d’époque certifiées conformes ne déclenchent pas vraiment les hurlements de joie extatique. Alors, […]
Derrière son apparente simplicité et son classicisme bon teint, Les Apprentis remue son lot d’affects troubles.
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Le cinéma français, on le sait, n’est pas précisément en panne d’auteurs. De Vautre côté du spectre de la production, les comédies grasseyantes et les reconstitutions d’époque certifiées conformes ne déclenchent pas vraiment les hurlements de joie extatique. Alors, quid de la troisième voie Où s’ont les cinéastes exigeants capables de réunir sur leur nom à la fois les suffrages cinéphiles et ceux d’un public qui ne récite pas nécessairement son Godard chaque soir avant de s’endormir ? Qui pour occuper ce terrain anciennement squatté par un Truffant Avec Les Apprentis, Pierre Salvadori répond peut-être à la question en réalisant un film libre, affranchi des codes et autres doxas. Un film formellement classique auquel on pourrait peut-être chercher des noises du côté de la mise en scène, mais qui remporte finalement la mise grâce à sa justesse, sa pléthore de bonnes idées et son émotion jamais putassière.
Les Apprentis, c’est l’histoire de deux types qui n’ont sur le papier rien en commun, mais qui se trouvent contraints départager leur sort miséreux dans l’appartement délaissé par un troisième larron. D’un côté, Antoine (François Cluzet), fatigué de la vie, des rapports découplé forcément compliqués et qui, dans une indécision que l’on appellera adolescente par simple commodité, passe son temps comme il peut – quelques piges rédigées pour une revue de karaté parce qu’il faut bien bouffer, quelques balades dans les jardins parisiens avec une amie de cœur (Judith Henry, remarquable). De l’autre, Fred (Guillaume Depardieu), un gars simple, cœur gros et esprit carré. Fasciné par les engins à moteur et embarqué dans des dérivations partouzardes de haute tenue absurde.
Alors, oppositions binaires en rafale ? Roucoulements prévisibles sur l’amitié qui bouleverse les mecs ? Non. Salvadori préfère bannir les clichés et décliné a contrario une foule de choses avec une pudeur exquise, un sens de la comédie qui n’entache en rien la gravité de l’ensemble. L’angoisse de vieillir et de pénétrer le monde adulte, l’envie de la marge et la trouille bleue de ne point parvenir à en sortir, la fraternité nonobstant les écueils du quotidien, la dépression nerveuse traitée aux antipodes des grands coups de pathos…Le cinéaste enchevêtre son petit paquetage de situations drolatiques et d’affects complexes avec une élégance jamais démentie, un sourire en demi-teintes qui rime avec respect des personnages. Et quand, au final, les deux gars se retrouvent peut-être pour la dernière fois dans un square de hasard et qu’ils entament une partie de foot neurasthénique et bouleversante avec des gosses, on se chuchote à l’oreille que Les Apprentis est parvenu à toucher quelque chose d’intense et de rare. Quelque part, toutes proportions gardées, entre le Truffant de l’époque Doinel et la comédie italienne d’il y a des siècles, Salvadori parle très simplement de choses très compliquées. Peut-être bien le genre de bonhomme qui manque au cinéma français.
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