Cinéaste longtemps négligé, Claude Sautet est en voie de réhabilitation quasi générale. Illustration avec son dernier film. Dès le prégénérique, Claude Sautet fait reconnaître sa griffe et expose son programme : un café, un vieil homme que le piqué de l’image n’épargne guère, une vie depuis longtemps figée dans son cadre et qui contrasté avec […]
Cinéaste longtemps négligé, Claude Sautet est en voie de réhabilitation quasi générale. Illustration avec son dernier film.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
Dès le prégénérique, Claude Sautet fait reconnaître sa griffe et expose son programme : un café, un vieil homme que le piqué de l’image n’épargne guère, une vie depuis longtemps figée dans son cadre et qui contrasté avec le flou de la foule en mouvement. Nelly et Mr. Arnaud – un titre à la Simenon – est l’histoire de la rencontre improbable entre une jeune femme et un vieil homme. Lune est un peu perdue dans le tourbillon du chômage et des petits boulots ; l’autre est depuis longtemps rangé des voitures, définitivement hors jeu. Entre la course effrénée de Nelly et le monde mort de Mr. Arnaud, le seul point d’intersection possible, le premier échange ne peut être que l’argent. En donnant à Nelly le fric dont il ne fait plus rien, il se sert du seul argument dont il dispose pour établir la relation. Chez Sautet, l’argent a toujours été le lien social le plus direct et le plus évident. C’est le critère absolu pour tester une
amitié ou découvrir une trahison. Dans Vincent, François, Paul et les autres, Montand passait tout le film à chercher une somme introuvable. Et Rosalie marquait sa rupture par un vol qualifié dans le coffre du malheureux César. Tenant d’un réalisme sophistiqué et parfois désuet, dernier utilisateur de la « transparence-voiture », digne représentant d’une « école française » (de Balzac à Pialat en passant par Renoir) pour qui le rendu du réel reste la grande affaire, Sautet fait partie de ces rares cinéastes qui tiennent à immerger leurs personnages dans un univers professionnel précis. En cela, il est farouchement hawksien. A l’inverse delà quasi-totalité des films français où les gens ont toujours l’air d’être trop occupés à se déchirer pour songer à bosser un peu, Nelly et Mr. Arnaud aborde de front la difficulté de se trouver une place dans la société. Du coup, Emmanuelle Béart y incarne une femme beaucoup plus fragile que Romy Schneider dans les films des années 70, car socialement dépendante. Elle quitte un mari qui se refuse à travailler pour se frotter à deux hommes d’argent et de pouvoir (le distingué Michel Serrault et Jean-Hugues Anglade en jeune éditeur aux dents longues). Peut alors commencer une comédie mélancolique et désenchantée sur l’impossibilité de l’amour.
L’appartement de Mr. Arnaud est un sanctuaire poussiéreux, le triste réceptacle d’une vie ratée, la tanière d’un capitaine d’industrie à la retraite. Sous le prétexte de lui dicter de pathétiques souvenirs coloniaux effort de sa puissance financière, il y attire la jolie Nelly. A défaut d’être sa maîtresse, elle sera son dernier et seul public. Le décor bourgeois s’évapore pour laisser place à une scène de théâtre tout entière occupée par Serrault, acteur en majesté. A coups de répliques troussées de main de maître, il se lance dans un grandiose numéro de faux vieux con et de vrai séducteur. Un homme grisâtre se métamorphose en cabot rentré qui s’amuse enfin. Les effets du théâtre de boulevard, les mots d’auteur trop bien calibrés pour être pris tout à fait au sérieux, les colères réelles ou feintes, la comédie delà vieillesse : Serrault joue tout à la fois dans une vertigineuse mise en abyme de lui-même. Sautet et Fieschi – qui s’affirme comme le meilleur scénariste français-lui ont réservé tous les effets. En immense acteur, il s’est bien gardé de tous les jouer. Mise dans la position du spectateur, irritée puis fascinée, Nelly sort étourdie de ces séances.
Sortie de l’espace théâtral, elle retrouve les rues de Paris, les ex et les copines, les cafés enfumés: ce qu’on a coutume de définir comme l’univers habituel de Claude Sautet. Elle est dans la vie, fait pleinement partie de ce monde que le vieux monsieur s’apprête à quitter. Mais le ver est dans le fruit, l’ultime représentation qu’il lui offre a trop de saveur. Nelly est mue par un mouvement presque schizophrénique qui consiste à rechercher dans le désordre de la vie quotidienne l’histoire d’amour que Mr. Arnaud ne peut plus lui donner. Dans une construction parfaite et cruelle qui fait songer au meilleur Mankiewicz, le film montre Serrault et Anglade se partageant le travail.
Au premier, les scènes de restaurant où la séduction prime ; au second, le sexe et le café du matin. Sautet dresse un constat qui a un goût de cendres. Profondément pessimiste et particulièrement brillant, Nelly et Mr. Arnaud est le meilleur film d’un grand cinéaste arrivé à l’apogée de son talent. Chaque plan, chaque raccord sont des merveilles de finesse et de discrétion. Si Sautet montre et ordonne tout avec une précision maniaque, il ne souligne rien. Echappant ainsi à l’écueil de l’académisme, son film a l’élégance de la grande tradition classique.
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}