Kevin Spacey est de retour dans une fable néo-hégélienne où un cinéaste exorcise ses années de vaches maigres. « You’ll never eat lunch in this town again » (Vous ne déjeunerez plus jamais dans cette ville), tel était en substance le titre de l’autobiographie de Julia Phillips, productrice de Taxi driver et de Rencontres du […]
Kevin Spacey est de retour dans une fable néo-hégélienne où un cinéaste exorcise ses années de vaches maigres.
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« You’ll never eat lunch in this town again » (Vous ne déjeunerez plus jamais dans cette ville), tel était en substance le titre de l’autobiographie de Julia Phillips, productrice de Taxi driver et de Rencontres du troisième type. Dans un déroulement très hollywoodien, elle avait vu sa carrière décliner avant d’être expulsée de ce qui ressemble soit à un paradis terrestre, soit à un enfer bien réel. Déjà dans les années 30 et 40, la littérature américaine (de J’aurais dû rester chez moi d’Horace McCoy à, Day of the locust de Nathanael West) décrivait la Mecque du cinéma comme une cité en pleine déliquescence d’où il valait mieux déguerpir à toute vitesse. George Huang na pas retenu la leçon de ses aînés, il appartient aune nouvelle génération de cinéastes qui s’accrochent aux rambardes et préfèrent entrer par la fenêtre plutôt que d’éviter l’humiliation suprême : ne plus jamais déjeuner à Hollywood. Son premier film, Swimming with sharks, représente sans doute la dernière carte qui lui restait dans sa besace. Dans le grand Monopoly hollywoodien, Huang a tout perdu. L’argent de ses parents, dépensé pour payer ses études de cinéma. Ses économies, gaspillées pour subvenir à ses besoins lors des nombreux stages payants qu’il a dû effectuer chez des producteurs. L’argent de la banque, englouti dans le tournage d’un film autobiographique où Huang n’a plus rien d’autre à montrer que son vécu de larbin agrégé, d’esclave polytechnicien. Pour ce prix-là, il a au moins pu s’offrir une thérapie de première classe en mettant en scène l’histoire dont rêve tout employé : débarquer dans l’appartement de son patron, le ligoter et le torturer en lui rappelant par le menu les humiliations qu’il lui a fait subir. Une des grandes qualités de Swimming with sharks réside dans ce postulat de départ, plus néo-hégélien que marxiste, c’est-à-dire centré sur une relation maître/esclave où les deux parties sont interdépendantes. Il n’y a pas un seul et unique salaud dans le film (en l’occurrence Kevin Spacey, très jouissif dans le rôle de l’ordure sadique et rusée) : à aucun moment Huang ne s’égare dans une dénonciation, de toute façon déjà entérinée, des excès du système hollywoodien. La lutte des classes ne semble guère le préoccuper. Ce sont plutôt les pauvres types de son espèce qu’il vise, tous ceux qui jouent les carpettes avec complaisance et courbent l’échiné sans rechigner, attendant patiemment le jour où, à l’occasion d’une promotion tant recherchée, ils pourront à leur tour exercer leur sadisme rentré. On pourra sans doute faire la fine bouche devant la mise en scène assez peu inventive de Huang, rechigner devant un scénario un peu poussif, mais ce n’est pas tous les jours qu’on voit un cinéaste se ruiner pour se payer sa tête: c’est assez rare pour ne pas être remarqué et encensé.
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