Avec “Albatros”, Xavier Beauvois réalise une subtile étude autour des rapports hommes-femmes qui, dans la deuxième partie, s’essouffle et se mue en un portrait d’homme blessé beaucoup plus conventionnel.
La figure du père est un fil rouge dans la filmographie de Xavier Beauvois, elle est omniprésente, voir constitutive de son cinéma. On la retrouve de film en film déployée sous des angles différents : malade et nocive dans Nord, fragile dans Selon Matthieu ou encore appréhendée sur un mode plus métaphorique dans Des Hommes et des Dieux et La Rançon, de la Gloire.
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Avec Albatros, Beauvois la convoque une nouvelle fois pour la situer dans son cadre le plus évident, c’est-à-dire celui de la famille, autre grand sujet du cinéaste. Ici, c’est plutôt une rareté chez Beauvois : nous voilà, a priori, face à une famille fonctionnelle et aimante. Il y a pourtant un infime détail au début du film, un grain de sable, une anomalie à peine perceptible qui déjà vient tordre le tableau harmonieux d’un goûter d’anniversaire joyeux. Marie (Marie-Julie Maille, également monteuse du film) est entourée de sa fille et de Laurent (Jérémie Renier), avec qui elle va bientôt se marier et qui, au quotidien, endosse le costume de commandant de brigade de la gendarmerie d’Étretat.
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Exil
Pour fêter l’événement, ce dernier lui promet un dîner à deux dans un restaurant chic. Marie remarque amusée et ironique, que le cadeau est ingénieusement trouvé pour celui qui voudrait faire plaisir tout en goûtant un peu au sien. Plus tard, Laurent insiste pour que Marie aille choisir sa future robe de mariée, elle qui semble si peu s’y intéresser. “Fais-toi plaisir, je veux que tu te fasses plaisir”, lui dit-il. Par la suite, ce sont d’autres indices qui sont égrainés dans une première partie de film haletante, menée habilement sur le mode de la chronique décrivant les péripéties quotidiennes de cette famille, mais aussi des hommes et des femmes du commissariat normand, et qui viennent mettre en lumière la toxicité discrète et maline de ce saint-homme qui voudrait faire le bien, mais qui assoit impérieusement son autorité.
Du malaise quasi schizophrénique projeté sur ce héros ordinaire, à la fois extrêmement bon et parfaitement menaçant, le film tire son meilleur et noue une réflexion trouble et profonde sur les rapports hommes-femmes qui passent par une redéfinition du mot héroïsme et de son imaginaire viriliste. Albatros s’en trouve lui-même coupé en deux, il est tiraillé entre le désir d’en finir avec ces figures de mâles meurtris et le regard admiré qu’il porte à ces vieux guerriers immortels. Il aurait été alors difficile de dire à quel degré de conscience, le film prend en charge ces questions d’assignations sociales et de genre, lui qui porte les stigmates d’une vision passée du masculin et du couple, s’il n’y avait pas ces quelques séquences consacrées à Marie. Mises bout à bout, elles composent au sein du même film, un deuxième plus secret, presque dissimulé dans le hors champ du premier et qui semble, lui, détenir la clé de l’énigme sur ce qui fait le courage qui s’incarne également dans les gestes et le regard de Marie.
Dommage alors qu’après un drame plongeant Laurent dans une profonde dépression, le cinéaste prenne la tangente, rétrograde et abandonne brutalement cette matière ambiguë et passionnante pour suivre un chemin beaucoup plus balisé axé autour d’une crise existentielle qui se démêlera au contact de l’océan. De cette escapade solitaire et maritime, Laurent revient reconstruit et avec lui, c’est aussi une vieille vision du monde qui l’emporte encore.
Présenté en avant-première à la Berlinale 2021, Albatros sort en salles le 3 novembre
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