En signant à nouveau la musique du dernier Kusturica, Goran Bregovic se montre plus faiseur qu’innovateur. Une polémique peut-elle en cacher une autre ? A peine les épées tirées à propos du film de Kusturica ont-elles regagné leurs fourreaux que l’on affûte les rasoirs pour régler des comptes avec le compositeur de la bande originale. […]
En signant à nouveau la musique du dernier Kusturica, Goran Bregovic se montre plus faiseur qu’innovateur. Une polémique peut-elle en cacher une autre ? A peine les épées tirées à propos du film de Kusturica ont-elles regagné leurs fourreaux que l’on affûte les rasoirs pour régler des comptes avec le compositeur de la bande originale. Dans le succès que remporta Le Temps des gitans, la musique de Goran Bregovic tenait une part non négligeable. Chants traditionnels et rondes populaires venaient achever le subjuguant travail des images, et le premier mérite à reconnaître au musicien sarajévien était d’avoir su puiser dans le réservoir du folklore balkanique les mélodies susceptibles de séduire l’oreille occidentale. De fait, la tâche qui l’attendait sur Arizona dream supposait un subtil mouvement vers l’Ouest que Bregovic réussit avec un rare opportunisme, faisant chanter Iggy Pop sur un reggae bordé de polyphonies danubiennes, manière de correspondre à la note près au mal du pays transpirant dans une œuvre dont l’esprit intensément yougo résistait à un environnement certifié 100 % yankee. Du travail effectué sur Underground, on dira que Bregovic s’est contenté d’enfoncer le clou engagé sur les semelles des Gitans. Que cet ancien musicien rock possède le don de la transversalité lui permettant d’esquiver une auscultation par trop minutieuse du vrai talent. Qu’une évidente souplesse intellectuelle sert à merveille ses greffes les plus inédites comme faire du Yaya de Lee Dorsey un ragga serbo-croate et laisser courir des chœurs d’église orthodoxe sur une boucle trip-hop. Seule la voix sobrement tragique de Cesaria Evora échappe à l’audace mondialiste un peu racoleuse de ce mixeur surdoué. Qui sait si la prochaine fois il ne fera pas chanter La Cucaracha en suisse alémanique à Frank Sinatra ? Sa connaissance parfaite des ensembles tziganes de Macédoine lui garantit le matériel nécessaire dont cet album est fourbi. Alors, braconnier ? Non, plutôt montreur d’ours. Bregovic est un fourgue de folklore doublé d’un excellent courtier en import-export. Le seul souci, c’est que, le succès aidant, ne lui vienne la grosse tête, qu’il s’imagine être le Nino Rota qu’il n’est pas, qu’il s’abandonne à la faiblesse de vouloir diriger des orchestres symphoniques devant des parterres de n’uds pap’ et de prout-ma-chère. D’ailleurs, il est déjà trop tard, on annonce des concerts pour le printemps.
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Goran Bregovic, Underground (Mercury/Polygram)
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