Haut bas fragile déambule dans la capitale en plein été : un suspense grave, ludique, chanté-enchanteur. Après La Belle noiseuse et Jeanne la Pucelle, deux films ambitieux en terme de sujet et d’attente commerciale, Rivette revient avec ce qu’il appelle « une œuvre de survie » : trois heures de « cinema in progress » qui le ramènent chez […]
Haut bas fragile déambule dans la capitale en plein été : un suspense grave, ludique, chanté-enchanteur.
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Après La Belle noiseuse et Jeanne la Pucelle, deux films ambitieux en terme de sujet et d’attente commerciale, Rivette revient avec ce qu’il appelle « une œuvre de survie » : trois heures de « cinema in progress » qui le ramènent chez lui, en pur territoire rivettien. Haut bas fragile porte en lui des traces vivaces de Céline et Julie…, du Pont du Nord ou de La Bande des quatre, concentre la quintessence éthique, thématique et stylistique du réalisateur de Jeanne. On pourrait ainsi décortiquer quelques éléments de Haut bas fragile et en faire une petite « Introduction à Jacques Rivette ».
Chapitre 1 : Rivette et la générosité. Souvent à cours d’idées d’histoires, le metteur en scène accueille volontiers celles des autres. Haut bas fragile résulte ainsi d’une collaboration avec Christine Laurent, Pascal Bonitzer les deux scénaristes habituels , mais aussi avec les trois actrices principales qui ont écrit leur propre rôle. Plutôt que démiurge-dictateur de plateau, Rivette est un aiguilleur, un meneur de jeu, un accoucheur qui prend soin des bébés-fictions d’autrui.
Chapitre 2 : Rivette et le hors-champ. A l’instar de ses films précédents, Haut bas fragile est plein de trous, de zones d’ombre, de pointillés que le spectateur peut remplir à sa guise. Quelles sont les origines de Ida/Laurence Côte ? Pourquoi Louise/Marianne Denicourt maintient-elle son père à distance ? Pourquoi Lucien/Bruno Todeschini prend-il Marianne en filature ? Autant de microsuspenses, de mystères qui se dévoilent au compte-gouttes, d’ambiguïtés non résolues qui ouvrent un espace de liberté au spectateur, lequel peut pratiquement imaginer un deuxième film hors écran.
Chapitre 3 : Rivette et la durée. Pas de flashback, pas de manipulation du temps, pas de public en avance sur ses personnages. Tout le monde progresse dans le film ensemble. Rivette filme l’instant présent, ce qui amène à parler de durée. Rivette désire faire des films d’une heure et demie mais n’y arrive pas. Parce qu’il laisse chaque scène durer ce qu’elle doit durer refusant par exemple de shunter une chanson , de la même manière, Rivette cadre rarement en gros plan, rechignant à morceler les corps, à séparer les personnages de leur environnement. Refus de couper les scènes, refus de couper les têtes : son éthique de cinéaste vis-à-vis de la fiction.
Chapitre 4 : Rivette et les jeunes filles. Il en va du cinéma comme du rock : un outil pour les timides congénitaux, un médium efficace pour séduire les jeunes filles. La pudeur de Rivette laisse à penser qu’il ferait plutôt du cinéma pour être le père qu’il n’est pas, ou alors un grand frère, un ami qui partage une aventure. Il filme les actrices avec un immense respect, dépourvu de la moindre ambiguïté. Il est intéressant de comparer le regard de Rivette avec les œuvres récentes de Godard, Rohmer ou Tavernier. Godard joue les mateurs égrillards ; Rohmer dirige des personnages de filles un peu bécasses, comme un laborantin manipule ses éprouvettes ; Tavernier, pris en flagrant délit de contradiction avec ce qu’il entend dénoncer, semble hypnotisé devant le corps nubile de Marie Gillain. Dans Haut bas fragile, on serait en peine de déceler la moindre seconde de voyeurisme. Rivette a dépassé la soixantaine, l’âge des pervers pépères. Sauf que lui serait plutôt un éternel jeune, qui filme les jeunes au plus juste, comme s’il était de leur génération. Là où Tavernier écoute du jazz (ce qui est respectable, sauf qu’il s’est arrêté là), Rivette écoute les Smiths avec passion : ce n’est pas un hasard si l’un fait des films vieux et l’autre des films jeunes.
Chapitre 5 : Rivette et la comédie musicale. Celui-là est la grande innovation de Haut bas fragile. Au détour de certaines scènes, les personnages se mettent à chanter, à danser, à s’enlacer dans de minimalistes chorégraphies sans doute le parti pris le plus discuté du film. Rivette s’est jeté avec ses moyens dans ces élans à la Demy : il ne dispose ni de Michel Legrand ni de Busby Berkeley, et autant dire que ces jaillissements de comédie musicale ne sont pas toujours à la hauteur de Chantons sous la pluie ou des Parapluies de Cherbourg. Mais l’intention est belle, l’esprit est là, il fallait l’oser, dans la logique de ce film léger, plein de jeu, d’humour et de mouvement.
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