Dans un pays pris en tenaille entre le quadrillage Vigipirate et la crispation nationaliste, Malik Chibane continue à traquer la richesse humaine tapie derrière les apparences. Dans notre douce Gaule de 95 minée par la morosité, le déficit de la Sécu, la menace terroriste, la crispation nationale-frontiste, dans ce pays à la clavicule sociale bien […]
Dans un pays pris en tenaille entre le quadrillage Vigipirate et la crispation nationaliste, Malik Chibane continue à traquer la richesse humaine tapie derrière les apparences.
Dans notre douce Gaule de 95 minée par la morosité, le déficit de la Sécu, la menace terroriste, la crispation nationale-frontiste, dans ce pays à la clavicule sociale bien déboîtée et pas franchement réconforté par les premiers mois cata du septennat Chirac (putain, sept ans ?!), dans cette riante contrée tenaillée par la trouille de l’Autre et quadrillée par les treillis de Vigipirate, l’émergence d’un cinéaste comme Malik Chibane est tout simplement de l’ordre de la bénédiction. Avec Douce France, Chibane poursuit la mission intelligemment pédagogique entamée avec Hexagone, à savoir : montrer par l’entremise d’une fiction que les Beurs sont avant tout des Français (lestés des mêmes problèmes et des mêmes envies que les Corses, les Guadeloupéens ou les Bretons), et pas obligatoirement des voleurs de mobylettes qui vont mettre le feu aux cités, poser des bonbonnes de butagaz dans le RER et violer nos sœurs quoiqu’il arrive qu’ils couchent avec nos sœurs (ou nos frères) et que nos sœurs en redemandent. Tout cela, qui ressemble à une évidence, n’a pas été si souvent pris en compte par le cinéma français, et sûrement pas avec autant de finesse et de vécu que par Malik Chibane. Bien que le jeune cinéaste de Goussainville se réclame de l’héritage de Carné, son cinéma est fondé sur un principe éminemment renoirien selon lequel un homme est toujours infiniment plus complexe que ne l’indiquent sa couleur de peau, son apparence vestimentaire ou sa fonction sociale. Ainsi, dans Douce France, une jeune musulmane qui porte le voile est d’un niveau culturel bac + 4 et s’exprime dans un français impeccable à faire bégayer Bruno Mégret ; sa sœur « libérée » se heurte vite fait aux limites existentielles de la société occidentale versant banlieue et aux réalités pas jouasses du monde du travail abrutissant et mal payé ; la mère de Moussa veut le marier avec une fille du bled selon la tradition, mais Moussa en pince pour la fille au voile et nom d’une pipe ! rien n’est simple…
Le cinéaste traque sans relâche la matière humaine qui se cache derrière les apparences et les silhouettes trop vite cataloguées et montre que les règles sociales, culturelles ou religieuses ne sont pas toujours en adéquation avec la complexité des désirs les plus profonds. Chez Chibane, personne n’est noir ou blanc, tout le monde est gris, avec toutes les nuances du clair au foncé : il faut voir avec quelle finesse il dépeint un concierge raciste qui n’a plus rien contre les Arabes dès lors qu’il les connaît subtile façon de pointer que le racisme est avant tout fondé sur une peur irrationnelle de l’inconnu. La leçon de choses administrée par Chibane pourrait sonner creux, rejoindre le cimetière bien rempli des belles intentions et de l’idéalisme bêlant, des évidences assenées qui ne font jamais rien avancer. Oui, bien sûr, à condition d’oublier que le parcours atypique de Malik Chibane est la preuve la plus éclatante que ses idées peuvent se matérialiser aussi concrètement qu’une barre HLM à Goussainville. Les films de Chibane ne sont pas élaborés sur un savoir abstrait et théorique, mais sur l’expérience associative et culturelle d’un ado dont l’existence a peut-être été sauvée par… Claude-Jean Philippe ! C’est le ciné-club d’Antenne 2 aujourd’hui remisé à la casse par Elkabbach qui a éloigné Malik Chibane du CAP en ébauchant son futur destin de cinéaste. Car, on allait l’oublier, Chibane est surtout un véritable cinéaste qui, malgré quelques défauts çà et là, sait raconter une histoire, rythmer les durées, donner chair à des personnages, les faire évoluer dans leurs lieux et dans son cadre… A côté de gens comme Karim Dridi ou Robert Guédiguian mais sans concertation entre eux , Chibane donne vie à un nouveau courant du cinéma français qui dépasse enfin le vieux clivage historique qualité française/Nouvelle Vague en s’appropriant le meilleur des deux camps la narration, les personnages, les dialogues et la dimension populaire du cinéma de papa ; les moyens légers, la fraîcheur et la jeunesse du cinéma moderne pour raconter la France d’aujourd’hui, notamment en inscrivant enfin à l’écran la qualité multi-ethnique qui est la sienne. Si la diversité culturelle est une chance pour ce pays, il est grand temps qu’elle le soit aussi pour son cinéma.
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