Célébrant la culture yiddish, la nouvelle création de Bartabas est un mélange détonnant et jubilatoire d’humour et de mélancolie.
Au Théâtre équestre Zingaro, on ne badine pas avec l’accueil. On commence par pénétrer dans l’ancien bâtiment, transformé en bar-restaurant aux allures de cabinet de curiosités fantastique où trônent en hauteur objets, costumes, masques délirants, la mémoire internationale de près de quarante ans de créations. De là, une armada de placeur·euses nous emmène dans le chapiteau, en traversant d’abord l’écurie où attendent dans leur stalle les chevaux d’un calme olympien… Une petite procession qui prend l’allure d’une mise en bouche du spectacle à venir. Notre placeur nous parle en yiddish et nous demande si on le comprend, nous rassurant d’une vanne : “C’est comme l’allemand, l’humour en plus.”
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Tel est le fil rouge de ce cycle des Cabarets de l’exil qu’entame aujourd’hui Bartabas : “Ce premier volet célèbrera la culture yiddish et sa musique klezmer ; un monde nomade en référence au déracinement perpétuel du peuple juif. L’exil entraîne presque toujours l’enrichissement de ses propres racines, il impose une renaissance, un détachement de ses liens ancestraux.” La règle de base reste identique : “À Zingaro, la musique est notre territoire et l’amour des chevaux, notre religion.”
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Errance immémoriale
S’y ajoute, cette fois-ci, la présence d’un acteur merveilleux, Rafaël Goldwaser, qui restitue entre chaque tableau le discours que fit Isaac Bashevis Singer en 1978 lorsqu’il reçut le prix Nobel de littérature. En yiddish et en français, bien sûr, avec un accent savoureux et un humour dévastateur. C’est aussi le père de l’une des musiciennes du Petit Mish-Mash, le groupe qui accompagne le spectacle et l’intercesseur idéal de cette culture qui irrigue ce Cabaret de l’exil, en paroles, en musique et à travers des constructions de tableaux où hommes, femmes et bêtes partagent les rythmes effrénés ou ralentis d’une errance immémoriale.
La dramaturgie du spectacle joue des contrastes en permanence. À l’agilité folle des premiers tours de piste succèdent des tableaux d’une sensualité envoûtante où une écuyère voltige telle une naïade sur la croupe généreuse de son cheval. On verra défiler un vieux Juif hassidique que poursuit d’une cavalcade effrénée un jeune cheval fougueux, un couple défiant les lois de l’équilibre et la vitesse du galop pour tournoyer ensemble. Nous poursuivra longtemps la vision du du Dibouk [démon habitant le corps d’un être humain] trimballé sur une carriole et de la maquette en bois d’un shtetl en flammes au milieu de la piste, tout comme l’élan vital qui, de la musique aux chevaux et aux écuyer·ères, se propage et suscite un ravissement contagieux.
Cabaret de l’exil création du Théâtre équestre Zingaro, mise en scène Bartabas. Jusqu’au 31 décembre, Fort d’Aubervilliers.
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