Le cinéma va-t-il mourir, terrassé par la télévision ? S’il survit, quelle est sa place, sa pertinence ? Eléments de réponses du critique théoricien Youssef Ishaghpour. Youssef Ishaghpour présente une alternative enthousiasmante aux embaumeurs du cinéma. Lucide quant aux périls que le cinéma traverse, il conserve suffisamment d’optimisme pour ne pas participer à la morosité […]
Le cinéma va-t-il mourir, terrassé par la télévision ? S’il survit, quelle est sa place, sa pertinence ? Eléments de réponses du critique théoricien Youssef Ishaghpour.
Youssef Ishaghpour présente une alternative enthousiasmante aux embaumeurs du cinéma. Lucide quant aux périls que le cinéma traverse, il conserve suffisamment d’optimisme pour ne pas participer à la morosité ambiante. Parce que le monde a changé depuis l’invention du cinéma et que le cinéma, comme les autres arts, entretient un rapport d’interaction avec l’Histoire, il a donc changé. Il faut bien reconnaître que la télévision a rendu obsolète un certain cinéma, à défaut de l’avoir tué. Comment faire du cinéma aujourd’hui, compte tenu de ce qu’Ishaghpour appelle « l’absence du monde et le règne du faux (…) cause et symptôme de la télévision » ? Dans quel désir les films peuvent-ils prendre naissance ? A l’heure où le cinéma commercial tente vainement, à coup de fantaisies de bandes dessinées on soupçonne là Ishaghpour, dans son mépris, de n’en avoir jamais lu , de recréer le mythe, Ishaghpour répond en regardant ce qui se passe, en considérant ce qui, dans le cinéma contemporain, garde une capacité de résistance, en traquant toute trace de la réalité face à l’image télévisuelle, déréalisante, sans passé ni présent. Avant d’ausculter le présent du cinéma, il fait sa généalogie et se livre à une analyse des différences entre théâtre et opéra, tragédie et drame. C’est dans cette confrontation entre parole et image, signification et sentiment, ethos et pathos que se joue l’histoire du cinéma. Le septième art a remplacé l’opéra et tous deux ont beaucoup en commun : l’ambition de réaliser la synthèse des arts, une fonction (renouer avec le mythe dans un monde désenchanté) et des moyens comparables (une technique au service de l’irréel).« L’opéra, c’est la réalité de l’art contre l’art de la réalité » (le roman). A ceux qui rétorqueront que l’image cinématographique reproduit la réalité et serait la vérité vingt-quatre fois par seconde, Ishaghpour conseille de ne pas oublier le terme même d’image : il la décrit au cinéma comme une étrangeté inquiétante, hallucinatoire, spectrale, à l’opposé des théories de Bazin, pour qui l’image filmée était ontologiquement réaliste. Seulement cette opposition ne va pas de soi car, nous dit Ishaghpour, le cinéma relève aussi bien du roman que de l’opéra, et en fait la synthèse. Il garantit le réalisme dans une « positivité scientifique de l’appareil » mais la « puissance de l’image lui confère une force affective et une magie, une dimension mythique. »
Ainsi le cinéma classique, américain ou soviétique, a-t-il été essentiellement cela : de l’opéra qui n’avait pas besoin de l’artifice et de l’affect pour s’enraciner dans le mythe. Avec Welles et Rossellini, le cinéma a connu sa révolution copernicienne. En introduisant des images d’actualité dans son film et en rendant visible l’instance narrative, Welles détruit l’illusion cinématographique et devient l’iconoclaste, l’homme qui détruit les images. Le cinéma y perd son innocence et Rossellini lui porte un coup fatal dans les Onze fioretti de François d’Assise (1950) où « le film devient un documentaire sur les acteurs… ». C’est sur ces bases que le cinéma de l’après-68 doit se construire. Moretti et Kiarostami développent « une esthétique de la finitude » pour qui la révélation du monde ne suppose plus Dieu mais « une profonde adhésion à ce qui est », une révélation de l’immanence en quelque sorte. Moïse et Aaron de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ou L’Annonce faite à Marie d’Alain Cuny sont des films théâtraux car, pour être un moyen de« reproduction-révélation du monde », ils dévoilent l’artificialité du film, créant un hiatus entre fiction et réalité. La veine du cinéma opératique exige de recréer la dimension mystico-épique par un style approprié, mais cela ne peut plus se faire naïvement comme au temps du cinéma classique. En mystique qu’il n’est pas, Ishaghpour conclut que « fût-ce grâce à la magie de l’art et à son mensonge, il ne faut pas oublier la possibilité toujours présente d’une résurrection. »
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