Pour le nouveau film de Wes Anderson, l’ex-leader de Pulp incarne un crooner de fiction qui reprend de vrais standards de la chanson française. So frenchic.
Ne surtout pas croire le titre : pas un seul morceau barbant ne figure ici au générique. L’intitulé fait référence à la ville française imaginaire d’Ennui-sur-Blasé, où se déroule le nouveau film de Wes Anderson, The French Dispatch. Après leur collaboration sur Fantastic Mr. Fox, le réalisateur américain a encore fait appel à Jarvis Cocker pour créer une bande-son parallèle. L’ex-chanteur de Pulp raconte.
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“Wes m’a expliqué qu’il y aurait dans son nouveau film un certain Tip-Top, qui apparaîtrait non pas en chair et en os mais sur un poster, dans le café où les étudiants se retrouvent pour parler de révolution. C’est Wes qui a inventé cet alter ego. Je me suis dit que ce personnage me permettrait de rendre hommage aux musiques françaises que j’aime et qui ont tenu une place importante dans ma vie. J’avais envie d’exprimer ma reconnaissance envers tout ce que la culture française m’a apporté, tout comme le fait Wes avec ce film.”
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Comme l’action a lieu autour des événements de Mai 68, les 12 chansons choisies, bien réelles, proviennent de cette époque. Le songwriter de Sheffield, qui a vécu plusieurs années à Paris, décrit le tout comme “une sorte de best of de Tip-Top”. C’est d’ailleurs ce pseudo qui orne la pochette, mais le visage qui l’accompagne et le timbre de voix sont immédiatement reconnaissables, tout comme ce délicieux accent anglais qui ne trompe pas. “Quand je me glisse dans la peau de Tip-Top, j’ai un super-pouvoir : j’arrive à chanter en français ! Cela m’est impossible quand je suis Jarvis.”
Un duo classieux, un brin décalé
On le savait depuis longtemps admirateur de Gainsbourg (ici, il en interprète deux titres : Contact et Requiem pour un con). On découvre aujourd’hui sa passion pour Christophe (“un artiste qui, chose rare, a continué à sortir des albums intéressants jusqu’à la fin”) dont il reprend le tube Aline avec une conviction touchante, Jacques Dutronc (sur le frénétique Les gens sont fous, les temps sont flous), Nino Ferrer (Amour, je te cherche, version française de Looking for You), ou encore Françoise Hardy (Mon amie la rose, ballade que Jarvis écoute depuis son adolescence).
Mention spéciale à Paroles, paroles, où il joue le rôle d’Alain Delon tandis que Lætitia Sadier tient celui de Dalida – un duo classieux, un brin décalé. L’Anglais révèle que Wes Anderson aurait aimé inclure un morceau de Barbara, mais que le challenge s’est avéré impossible. “J’aime beaucoup Barbara, mais elle a une interprétation si particulière que je ne voyais pas comment m’y prendre, donc j’ai fini par abandonner.”
Plutôt que de transformer radicalement les morceaux, Jarvis et les musicien·nes qui l’accompagnent (tous·tes membres de son groupe actuel, Jarv Is) ont préféré rester fidèles aux versions d’origine. “Beaucoup de pop songs françaises de cette époque avaient des paroles plus intéressantes que les chansons anglaises de la même période. C’était très important pour moi d’interpréter ces chansons correctement, avec respect et conviction. Lætitia Sadier a gentiment accepté de m’aider. Elle est venue en studio quand j’enregistrais ma voix et elle m’a guidé dans ma prononciation. Elle a aussi traduit en français la chanson de Nino Ferrer qui était à l’origine en anglais.”
“Cet album, c’est ma façon de protester contre le Brexit”
Cet album a été conçu durant le premier confinement de 2020, chaque musicien·ne enregistrant à distance ses parties. En parallèle, Jarvis organisait des DJ sets depuis chez lui, le samedi soir, sous une boule à facettes solitaire. Cette initiative, intitulée Domestic Disco et diffusée en livestream sur Instagram, a permis, autant pour lui que pour nous, de se vider la tête et de retrouver le sens de la fête. Ce performeur-né a récemment refait un DJ set en public. “Après avoir été contraint à la restriction pendant si longtemps, les gens ont dansé comme jamais. Peut-être que cet élan d’énergie nous mènera vers des choses excitantes.”
Chansons d’ennui sort en même temps que The French Dispatch, mais on pense aussi à un contexte plus global post-Brexit. “Je viens juste de faire la queue pendant deux heures en voiture pour refaire le plein d’essence”, s’exclame Jarvis.
“Cet album, c’est ma façon de protester contre le Brexit. J’ai toujours été contre et ma colère ne s’est pas calmée au sujet de ce désastre. Pouvoir chanter dans une langue européenne est l’une des raisons qui m’ont poussé à accepter ce projet.” Un beau symbole d’Entente cordiale indestructible.
Chansons d’ennui (Republic Records/Universal). Sorti depuis le 22 octobre.
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