Réalisé il y a déjà deux ans, Crooklyn a visiblement eu du mal à trouver un distributeur français et apparaît seulement aujourd’hui sur nos écrans, dans la foulée de Clockers. Les intentions que l’on devine à l’origine de ce projet sont plutôt légitimes et à l’honneur du cinéaste : en coécrivant avec sa sœur Joy […]
Réalisé il y a déjà deux ans, Crooklyn a visiblement eu du mal à trouver un distributeur français et apparaît seulement aujourd’hui sur nos écrans, dans la foulée de Clockers. Les intentions que l’on devine à l’origine de ce projet sont plutôt légitimes et à l’honneur du cinéaste : en coécrivant avec sa sœur Joy cette chronique d’une enfance à Brooklyn en partie autobiographique, Spike Lee souhaitait échapper au carcan d’un cinéma noir revendicatif à base de rap et de ghetto en révolte, tiroir dans lequel il s’était lui-même fourré, et filmer la vie quotidienne d’une famille noire ordinaire moins de sensationnel, plus de sentiments. Le problème, c’est qu’en devenant sentimental, le cinéma de Spike Lee prend plus la direction du Cosby show que celle de Scorsese. En adoptant le point de vue d’une gamine de 10 ans, le réalisateur de Do the right thing se débarrasse avec bonheur d’un certain didactisme militant et de ses dérapages farakhanistes, mais frise l’insignifiance nostalgique des souvenirs d’enfance. Dans la douceur domestique, les conflits les plus graves concernent une part de gâteau au dessert ou un voisin qui ne nettoie pas son pas de porte. Le rapport ordinairement machiste entre le père occupé à sa musique et la mère préposée à la tenue de la maisonnée est intéressant, mais traité superficiellement. De surcroît, Spike Lee se montre peu inspiré et on commence à se lasser de ses travellings aussi virtuoses que gratuits au-dessus des trottoirs de Bedford-Stuyvesant. Quand il a une idée, elle s’avère plutôt maladroite : ainsi, le passage chez les cousins bourgeois de province est-il filmé comme du 70 mm passé en 35 (l’image est allongée comme dans les miroirs déformants du musée Grévin), histoire de nous montrer la cambrousse proprette vue comme une distorsion par une gosse élevée sur le macadam new-yorkais ; le problème étant que, pendant toute la séquence, on pense à une erreur du projectionniste.
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Reste au moins une réussite formidable dans ce film/soap-opera qui pourrait durer vingt minutes de plus ou de moins : la bande originale qui dope la chose au kérosène Stax et au fuel Motown. Ce qui ne suffit évidemment pas à faire de Crooklyn un grand film soul. Dommage, parce que le désir de Spike Lee d’échapper au cinéma de slogan était plutôt estimable.
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