En ce temps-là, Jésus, l’envoyé de Dieu’ ? «God-ard» en vieux romanche – dit à ses disciples : “Il faut bouter les mécréants hors du temple des images. Que ceux qui ont le front d’ignorer les noms des grands prophètes des Icônes Mouvantes soient flagellés sept fris! Que les satrapes du culte, avides de pouvoir […]
En ce temps-là, Jésus, l’envoyé de Dieu’ ? «God-ard» en vieux romanche – dit à ses disciples : « Il faut bouter les mécréants hors du temple des images. Que ceux qui ont le front d’ignorer les noms des grands prophètes des Icônes Mouvantes soient flagellés sept fris! Que les satrapes du culte, avides de pouvoir et de gloire terrestre soient bannis pour l’éternité car ils ne sont pas dignes de s’asseoir à la droite du Père. Alléluia! » (Evangile selon saint Jean-Luc, IX, 5.) Prenant le contre-pied d’Agnès Varda, qui avait (con)fictionné dans Les 101 nuits une joyeuse tambouille nostalgicogaga à base d’extraits de films et d’artifices poussiéreux, le protestant Jean-Luc Godard (et Anne-Marie Miéville dont la collaboration est oblitérée par l’omniprésence du Maître) a décidé de jouer le jeu de la commémoration sans jouer le jeu.
S’instituant commissaire politique de la cinéphilie, il prend en otage le brave Michel Piccoli, corvéable à merci puisqu’il avait déjà été à la fois l’Auguste (affublé d’une perruque O Cedar) et le clown blanc du pudding susnommé de la Varda. Visiblement moins à l’aise ici -on le comprend-, Piccoli est malmené d’entrée par l’ancien de la Nouvelle Vague. Pourquoi l’acteur est-il président de l’association Premier siècle du cinéma Pourquoi cette association ? Godard (en personne, mais de dos, alors que Piccoli est de face mais dans l’ombre) joue au Fouquier-Tinville: « Pourquoi voulez-vous célébrer le cinéma ? » Piccoli (rendu aphasique par l’agression soutenue): « Euh » Godard: « C’est l’exploitation que vous célébrez, pas la production. » S’ensuit une diatribe contre l’alibi hypocrite que représente la célébration de ce centenaire, palliatif dérisoire face à l’amnésie générale en matière de cinéma classique. « Notre idée, c’est que grosso modo on ne se souvient plus », déclare JLG. Mais de quoi ne se souvient-on plus, bon Dieu ? Des noms! Ceux de cinéastes comme Jean Grémillon, d’acteurs comme Carette, Annabella, Le Vigan, etc., et accessoirement de films… En petit soldat dévoué, Piccoli joue quelques saynètes avec les employés de l’hôtel de luxe où il passe son week-end. Se substituant à son procureur, il cuisine à son tour femmes de chambre et valets : « Connaissez-vous tel, ou tel, ou tel acteur du passé ? » Les jeunes employés sont désarmés devant cet indigeste name-dropping. Naturellement, ils ne connaissent rien, sauf Madonna, Schwartzenegger et les derniers succès américains. Par ce biais, Godard rétablit la notion de culture de classe les grands bourgeois comme Piccoli dans le film possèdent le savoir; la valetaille, elle, n’a accès qu’aux valeurs frelatées du monde industriel. Les riches chez Lucullus, les pauvres au McDo ! Mais le plus curieux, c est cette cinéphilie fétichiste. Somme toute, il suffirait d’ingurgiter un dictionnaire de cinéma pour que les doléances de JLG s’avèrent caduques. Et les films, et leur contenu dans tout ça Et le style N’eût-il pas été plus judicieux de faire appel à la sensibilité de ces employés en leur montrant des extraits de films, au lieu de les caricaturer aussi cruellement (Un serveur confond Jacques Becker avec Bons Becker.) Certes, ces contorsions visent avant tout (et avec justesse) notre médiocre médiacratie, la lobotomisation télévisuelle, responsable de tous les maux; mais pourquoi tant de morgue et de mépris ? Le seul passage où le cinéaste sort un peu de son insupportable suffisance et où il apporte de l’eau au moulin des amateurs d’art est celui où il évoque avec une réelle intelligence les écrivains qui avaient rêvé le cinéma longtemps avant qu’il n’existe: Diderot, Eugène Fromentin, Baudelaire, Charles Cros. Mais il a beau faire, l’impression persiste : le libertaire et le provocateur d’hier est devenu un vieux réac d’aujourd’hui.
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