James Ivory est sans doute le seul réalisateur objectivement académique et pourtant intéressant. Un serviteur élégant de la littérature, anticonformiste poli, épris d’intérieurs aristocratiques. Incapable d’imaginer un film dans l’aujourd’hui, il se réfugie dans le passé, riche de costumes et de volupté clandestine. Or, cet académisme a montré au fil des années qu’il était de […]
James Ivory est sans doute le seul réalisateur objectivement académique et pourtant intéressant. Un serviteur élégant de la littérature, anticonformiste poli, épris d’intérieurs aristocratiques. Incapable d’imaginer un film dans l’aujourd’hui, il se réfugie dans le passé, riche de costumes et de volupté clandestine. Or, cet académisme a montré au fil des années qu’il était de plus en plus contaminé par un je-ne-sais-quoi de maladif et de finalement névrotique. Dans ses deux derniers films, Retour à Howards End et Les Vestiges du jour, petits bijoux morbides, la mise en scène a gagné en profondeur, en respiration irrégulière. En lutte avec lui-même, Ivory est devenu quelqu’un.
Jefferson à Paris, hélas, témoigne plutôt d’un retour en arrière. On y retrouve les thèmes chers au cinéaste mais exposés de manière curieusement dépassionnée. 1784. La Révolution française est toute proche. Thomas Jefferson, auteur de la Déclaration d’Indépendance et ambassadeur de l’Amérique, s’installe à Paris en compagnie de sa fille. Il fréquente la cour et les intellectuels, se nourrit abondamment de culture et de science européennes. Il tombe amoureux, mais il réprime son sentiment par fidélité à sa défunte épouse. Quelques années plus tard, il devient l’amant de Sally. Une demoiselle au joli minois… qui est aussi son esclave.
La confrontation du Nouveau et de l’Ancien Monde, leurs points de coïncidence et de divergence le conflit du cœur et de la raison; la contradiction d’un homme sincèrement démocrate et qui perpétue la tradition de l’esclavage… On l’aura compris, cette période de l’existence de Jefferson cristallise à elle seule une flopée d’enjeux psychologiques et politiques. Le hic, c’est que tout ça a du mal à s’agencer ici, à fonctionner de manière organique. Le film donne l’impression d’être littéralement plombé il expose sans cesse les paradoxes sans pouvoir les activer. Et le casting n’arrange rien à l’affaire. Nick Nolte a du mal à rendre la figure de Jefferson un minimum intéressante. Greta Scacchi est là sans y être… Le regard n’accroche sur rien de tangible. Le faste lui-même parait dévitalisé. Les images passent, aussi ternes et neutres que celles d’un manuel scolaire.
En fait, tout porte à croire que le scénario était à ce point fait pour ce cinéaste qu’il a fini par assécher son imaginaire et freiner son désir de le filmer. Jefferson à Paris est un échec-non pas cuisant-car Ivory semble absent. Comme si, lassé du cadeau et conscient d’avoir déjà explorer ces thèmes auparavant, et de manière autrement plus subtile, il s’était éclipsé au cours du tournage, déléguant ses pouvoirs au premier venu. Lequel se serait contenté: de cadrer les acteurs en attendant que ça se passe.
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