Ed Wood, le vrai, était un véritable auteur dont l’audace était plus grande encore que celle des meilleurs artisans de la série B de l’époque. « Une indescriptible horreur venue de l’espace paralyse les vivants et ressuscite les morts ! » Tel est le slogan fanfaron qui figure sur l’affiche originale de Plan nine from […]
Ed Wood, le vrai, était un véritable auteur dont l’audace était plus grande encore que celle des meilleurs artisans de la série B de l’époque.
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« Une indescriptible horreur venue de l’espace paralyse les vivants et ressuscite les morts ! » Tel est le slogan fanfaron qui figure sur l’affiche originale de Plan nine from outer space (1959). Edward Wood était-il un mauvais réalisateur Oui et non. Oui, dans la mesure où ses films sont statiques et alourdis par des dialogues explicatifs. Non, car avec une audace plus grande encore que chez les meilleurs artisans de la série B, Edward Wood fabrique tout un univers à partir de rien. Dans Plan nine, sorte de remake de La Guerre des mondes de H.-G. Wells, la croyance habite à un tel point le récit du méphistophélique Criswell qu’une certaine magie finit par opérer, bien qu’à l’écran il ne se passe pas grand-chose: les morts-vivants Vampira et Tor Johnson arpentent de long en large un décor vide (le cimetière), des soucoupes volantes symboliques déferlent et l’armée contre-attaque… Naturellement, le film, écrit en moins de deux semaines, tourné en sept jours, constitué en partie d’images d’archives, ne ressemble pas au produit hollywoodien standard. Les scènes importantes se déroulent le plus souvent hors champ. Autre entorse à la cohérence classique, Ed Wood a construit le film autour de quelques plans de Bela Lugosi tournés peu avant la mort de l’acteur. Wood est donc avant tout un génie du puzzle, qui n’a pas son pareil pour assembler des éléments disparates de manière tout à fait harmonieuse, une voix off remplaçant parfois des séquences entières. Le summum étant son premier film, Glen or Glenda, un docu-fiction insensé, dont l’aplomb pseudo-scientifique, pseudo-objectif ? une des constantes chez Wood masque l’incongruité profonde. Purement autobiographique et interprété par le cinéaste, Glen or Glanda est tout simplement un plaidoyer d’une sincérité désarmante en faveur des travestis… Ce qui sidère dans ce film qui sort du cadre de la série Z, du cinéma de genre auquel Wood se consacrera ensuite, c’est le refus d’assumer cette déviance comme un vice, le besoin de la justifier rationnellement (les vêtements de femme sont plus confortables pour un homme, par exemple) et de la légitimer socialement. Ce qui déconcerte également, c’est la construction du film et les interventions récurrentes de Bela Lugosi en démiurge supra-humain, proférant d’obscures incantations: « Attention au gros dragon vert devant votre porte. Il mange les petits garçons… » Dans ses six longs métrages officiels tournés entre 1953 et 1960, Wood alterne film fantastique et film de moteurs plus ou moins policier. Dans cette deuxième catégorie, passons sur Jailbait (1954), polar presque normal et très morne, qui semble conçu uniquement en fonction du coup de théâtre final : le nouveau visage du gangster à la suite d’une opération de chirurgie esthétique…
Bien plus intéressant, The Sinister urge (1960) adopte comme Glen or Glanda un ton pseudodocumentaire. Mais son apparence didactique ? ici, comment des photos et films porno peuvent pousser au crime ? ne leurre personne. Il s’agit tout simplement d’une sorte de film érotique primitif. Un cinéma cru qui, malgré son innocuité, s’approche de la vérité doctunentaire. Citons le superbe prégénérique où une jeune femme court dans les bois en sous-vêtements. La confusion de l’agression qui suit n’a rien à voir avec le cinéma-spectacle:
aucune exagération, aucun procédé de mise en scène… Idem pour une scène de bagarre générale entre jeunes gens: Ed Wood filme l’action en plan d’ensemble, sans bruiter les coups de poing comme c’est habituel dans le cinéma américain. On réalise, dans ce film mieux que dans tout autre, comment Wood a poussé jusqu’à la poésie l’aspect naturellement elliptique et épuré de la série B. Un personnage téléphone. Décor: un mur nu sur lequel est installé un appareil. «Je suis à l’hôpital » annonce le personnage. Pour corroborer ce fait, une figurante passe dans le champ vêtue en infirmière. Fin de là séquence… Ed Wood a tout simplement inventé le cinéma homéopathique : les turpitudes promises n’apparaissent pas à l’image, mais sont juste suggérées par un geste, un détail infinitésimal. Comme dans les films modernes les plus épurés (Bresson, Ozu, Straub), le film s’élabore directement dans le cerveau du spectateur.
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