Avec Porco rosso de Hayao Myazaki, plus gros succès de l’année cinéma au Japon, oubliez tout ce que vous savez du dessin animé nippon.
Au studio Ghibli de Tokyo, pas de Goldorak ni de japoniaiseries façon Club Dorothée. Là-bas, les dessins ne sont pas conçus par ordinateur, mais exécutés méticuleusement à la main, selon la volonté du maître des lieux, Hayao Myazaki. Star de l’animation nipponne, reconnu comme l’un des plus grands par ses pairs (Glen Keane chez Walt Disney, René Laloux, Moebius ou même Kurosawa), Myazaki a battu avec son dernier film en date, Porco rosso, tous les records d’affluence au pays du Soleil-Levant. Sorti en 1992, le film totalise trois millions et demi d’entrées, devançant ainsi des mammouths américains comme La Belle et la bête, JFKou encore Basic instinct.
Ce goût du public japonais pour les films d’animation s’explique d’abord par l’importance de la bande dessinée dans leur culture. Appelées mangas, les bandes dessinées japonaises se sont très vite adressées aussi bien aux enfants qu’aux adultes et, peu à peu, des manuels d’histoire ou d’économie ont été vulgarisés sous forme de mangas avec grand succès. Les films d’animation eux-mêmes sont souvent tirés d’un manga dont ils reproduisent le graphisme jusque dans les moindres détails. Ce qui frappe le plus au studio Ghibli, c’est l’extraordinaire minutie des cent soixante dix-huit techniciens employés à plein temps. Du dessinateur au cameraman, chacun se dépense sans compter pour assurer au produit fini la qualité optimale, ce qui au Japon est plutôt inhabituel, vu le peu de cas fait par les producteurs de dessins animés de la finition des films. A cette indigence, une raison très simple: les producteurs travaillent en grande majorité pour une télévision qui sait qu’à peu près n’importe quel film lui assurera de confortables indices d’écoute. Dès lors, les budgets débloqués par les chaînes pour la réalisation de ces séries animées n’ont aucune raison d’augmenter. Cela désole les animateurs, qui non seulement ont du mal à vivre de leur métier, mais n’ont en outre pratiquement jamais l’occasion de montrer de quoi ils sont vraiment capables. Ces conditions de travail épouvantables font que la relève de l’animation nipponne n’est pas encore assurée. Vu les maigres salaires, peu de jeunes aujourd’hui se destinent à cette profession, ce qui oblige les producteurs à faire de plus en plus appel aux techniciens étrangers. La situation s’est tellement dégradée qu’on peut affirmer actuellement qu’aucun des films d’animation destinés aux chaînes ne pourrait être mené à bien sans l’apport d’équipes coréennes, chinoises, philippines ou indonésiennes.
C’est pour lutter contre cet état de fait, qu’il avait lui-même connu à la Toei Animation dans les années 6o, que Hayao Myazaki a fondé son propre studio en 1984. A Ghibli, la réalisation d’un long métrage s’étale sur plus de deux ans et les moyens investis dans sa production sont plus que confortables. Myazaki a en effet su trouver chez le magnat de la presse Yasuyoshi Tokuma un solide appui financier, qui ne s’est jamais démenti depuis leur première collaboration sur Nausicaa de la vallée du vent, que Myazaki réalisa en 1984 d’après son unique manga.
Ancien leader syndical de la Toei, Myazaki a toujours été préoccupé par l’indépendance de l’artiste et les conditions de travail de l’individu. De ce fait, à Ghibli, tout a été conçu pour que chacun puisse trouver le maximum de confort et de liberté créative. Amateur de culture occidentale, et plus particulièrement de culture française, Myazaki a par exemple insisté pour que la cafétéria de son studio ressemble à un café parisien. On retrouve ce rêve d’une vie pure et ce goût pour l’utopie dans Porco rosso, où le héros, Marco Porcellino, est un pilote d’hydravion qui a choisi de ne pas obéir à l’Etat italien de 1929. Ayant eu droit à un sursis sur Terre après la mort, il revient sous les traits d’un cochon pour sillonner les côtes de l’Adriatique et lutter contre les pirates. Une fois l’hydravion garé dans son île déserte de la Méditerranée, Marco se laisse aller à la contemplation des nuages en écoutant sans relâche sa chanson préférée, l’hymne communard Le Temps des cerises. Pour Myazaki, la métaphore est claire: ce héros épris d’indépendance qui a troqué son visage pur d’adolescent pour le groin du cochon, c’est lui. Le film s’adresse en effet en priorité aux hommes d’âge mûr qui, comme Myazaki, rêvaient de changer le monde; mais insensiblement, ils se sont transformés cochons en se compromettant dans le système.
Derrière les combats aériens et les personnages d’aviateurs courageux de Porco rosso se cache le récit d’une aliénation, celle d’Hayao Myazaki. Comme dans son premier long métrage, Arsène Lupin et le château de Cagliostro (une libre adaptation de Maurice Leblanc), Myazaki réaffirme dans Porco rosso son goût pour les histoires romanesques et pour l’Europe du début du siècle. Sa fascination pour les paysages méditerranéens éclate notamment dans toutes les scènes de combats aériens et dans les séquences situées au bar de Gina. Cet enracinement l’histoire dans une géographie réelle précise est, là encore, une innovation par rapport à la norme des dessins animés japonais, dont les lieux sont volontairement sans nationalité. Ecologiste dans l’âme, Myazaki avoue s’intéresser aux paysages étrangers car ces derniers jouissent encore d’une nature sauvage que l’on ne trouve plus au Japon. Dans l’un de ses derniers films, Mon voisin Totoro, il racontait l’histoire de trois esprits de la nature, les Totoros ; sa motivation première était justement de décrire la nature japonaise telle qu’elle existait avant d’être détruite, avec ses forêts touffues, ses champs de riz et ses ruisseaux.
Truffé de références au cinéma de l’âge d’or hollywoodien comme au cinéma japonais de la grande époque (Marco est un mercenaire digne Sept samouraïs), Porco rosso frappe surtout les mémoires grâce à la poésie étonnante de toutes ses scènes situées en plein ciel. Lui-même fils d’un constructeur aéronautique, Myazaki a toujours raconté des histoires de personnages entre ciel et terre, ivres du bonheur de planer. Dans Mon voisin Totoro, les enfants se suspendaient aux Totoros pour la nature; dans Kiki, la messagerie de l’ensorceleuse, c’est une apprentie sorcière qui sillonnait les airs sur son balai. Enfin, la plus belle scène de Porco rosso montre Marco avant sa métamorphose, en train d errer a de son avion dans un cimetière aérien. Rassemblés en un long convoi monte jusqu’aux étoiles, les pilotes décédés et leurs appareils se confondent avec les constellations. C’est grâce à ce genre de visions où éclate tout le talent de Myazaki que le dessin animé japonais gagne ses lettres de noblesse. Akira Kurosawa lui-même a reconnu son égal dans l’auteur de Porco rosso. Dans une lettre qu’il lui avait adressée, l’Empereur écrivait: « Aujourd’hui(…) le cinéma d’animation japonais succède à la belle époque de prospérité des films de fiction au Japon. Je suis toujours entre rire et larmes devant le spectacle magnifique de vos films animés. (…) Je me réjouis de penser que des réalisateurs de dessins animés que vous ont su prendre leur indépendance vis-à-vis des grands studios japonais qui n’ont pas su évoluer et ont perdu le vrai sens du cinéma.
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