Pour ses dix ans, le Fonds de Dotation Rubis Mécénat invite le jeune peintre Dhewadi Hadjab à déployer ses corps en suspens
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Dhewadi Hadjab ne dépeint pas l’instant décisif, mais plutôt la mise en suspension de tout repère temporel. D’une facture hyperréaliste, la touche s’attarde avec la même minutie sur le papier peint qui s’effrite, le velouté lustré d’un canapé ou les plis d’un t-shirt molletonné. La lumière est sourde, l’atmosphère immobile, l’ambiance mutique.
Le personnage, unique, selon la formule que répète et décline obsessivement l’artiste, s’y trouve à son tour transi. Son expression est vide, ses yeux clos, sa nuque tournée. Mais c’est sa posture, et l’arabesque dessinée par ses membres, qui retient l’attention et dès lors, hantera le regardeur pour ne plus le quitter : un abandon morbide, un arc maniériste, ou encore une tension électrique.
L’Église Saint-Eustache et les artistes
Né en 1992 à M’sila en Algérie, Dhewadi Hadjab se formera d’abord aux Beaux-Arts d’Alger, avant d’être diplômé en 2019 de l’École nationale supérieure d’Art de Bourges. C’est aux Beaux-Arts de Paris, où l’artiste étudie actuellement au sein de l’atelier de peinture de Tim Eitel, que son travail retiendra l’attention du jury de CRUSH. Présenté lors du premier accrochage de l’exposition en février, destiné à mettre en lumière les travaux des étudiants par une sélection de professionnels de l’art, l’inquiétante étrangeté de ses toiles lui vaudra d’être choisi parmi la quarantaine d’étudiants de l’école pour inaugurer la nouvelle aide à la production et à la professionnalisation développée par Rubis Mécénat.
Depuis dix ans, le fonds de dotation Rubis Mécénat décline sa politique de soutien à la création par l’entremise de commandes artistiques à destination d’artistes émergents et en milieu de carrière. A l’église Saint-Eustache, sise dans le premier arrondissement de Paris, ils sont déjà huit à y avoir proposé des installations in situ depuis 2012. L’installation vidéo inaugurale de Leonora Hamill aura été succédé, entre ces murs, par la réalisation de crèches contemporaines confiées à Fanny Allié, Théophile Stern, Anouk Rabot, Max Coulon, Enzo Certa, Cassandre Rain ou Prosper Legault.
A l’automne, Rubis Mécénat inaugure la carte blanche offerte à ce premier lauréat CRUSH : Dhewadi Hadjab. En dialogue avec le curateur et critique Gaël Charbau, commissaire de la proposition, l’artiste présente un diptyque monumental conçu pour investir le banc-d’oeuvre de l’église. Plus précisément, Dhewadi Hadjab intègre la présence du prie-Dieu au sein de ses nouvelles toiles qui, s’élevant à plus de trois mètres de hauteur, ont été réalisées grâce à l’aide à la production et à la prise en charge de la production du fond de dotation.
Orchestrer la désorientation du présent
Ainsi, les deux corps féminins, représentés la tête en bas, convulsés en plein vol, les bras déjà au sol, tentent de maintenir l’équilibre du mobilier liturgique en question. A les percevoir, et à les recevoir, on pense, le contexte aidant, aux représentations jalonnant l’histoire de l’art : une descente de croix, un Saint Sébastien, ou une extase de Sainte Thérèse. Sauf qu’ici, le personnage central est seul, dans un décor contemporain, dénué d’insignes ou d’indices permettant de rattacher la scène à une iconologie préalable.
Alors, l’étrangeté s’opacifie, et la lecture se fait métaphysique. Il en va de la solitude de l’humain moderne, de cet être dénué d’attaches, autour de qui les repères s’effondrent et les certitudes s’écroulent. Il en va, également, de l’impératif ressenti de faire sens de l’existence en l’absence même d’horizons, lorsque le cours du temps semble s’être arrêté, figé dans un présent perpétuel, et que le sens du commun se dissout englué dans la solitude connectée.
Ce serait, d’ailleurs, plutôt que l’histoire de l’art, le quotidien des corps réels, présents et vibrants, qui fournit à l’artiste ses compositions. Préalablement à l’acte de peindre le fourmillement du réel transi, l’artiste met en scène ses amis, les amenant, de manière quasi-performative, aux confins de l’inconfort, et photographie leurs poses. S’il évoque de même l’influence des chorégraphes contemporains, les œuvres de Dhewadi Hadjab orchestrent et donnent forme visible à un sentiment de désorientation métaphysique confusément ressenti par tou.te.s.
Carte blanche à Dhewadi Hadjab, une commande de Rubis Mécénat en partenariat avec les Beaux-Arts de Paris, jusqu’au 12 décembre à l’Église Saint-Eustache à Paris
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