Avant de se faire connaître avec sa trilogie sociale et londonienne (My beautiful laundrette, Sammy et Rosie, Prick up your ears), Stephen Frears avait signé un polar mystérieux et abstrait qui ressort cet été: The Hit, plus proche des errances d’Antonioni que de l’Angleterre de Thatcher. The Hit n’est pas l’histoire d’un tube, mais d’un […]
Avant de se faire connaître avec sa trilogie sociale et londonienne (My beautiful laundrette, Sammy et Rosie, Prick up your ears), Stephen Frears avait signé un polar mystérieux et abstrait qui ressort cet été: The Hit, plus proche des errances d’Antonioni que de l’Angleterre de Thatcher.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
The Hit n’est pas l’histoire d’un tube, mais d’un contrat un gangster dénonce ses comparses dix ans plus tard, il coule des jours tranquilles en Espagne, mais un bit man et son aide ont été engagés pour le faire disparaître. The Hit va retracer la dérive de ces trois hommes à travers la Péninsule, entre le moment où le gangster est enlevé et celui où le contrat sera finalement honoré. Le monde entier n’a vraiment découvert Stephen Frears qu’en 1986 avec My beautiful laundrette, amorce d’un cinéma de résistance sociale à la politique de Thatcher, écho tardif de la révolte blanche initiée dans le rock par The Clash à la fin des années 70. Jusque-là, Frears était l’un de ces grands artisans de l’excellente télévision britannique. Pourtant, il avait débuté au cinéma, mais n’était pas parvenu à s’y faire un nom. « Je pensais, explique-t-il, que je devais travailler à l’intérieur des genres populaires si je voulais rencontrer le succès. Et finalement, quand j’ai abandonné cette formule avec My beautiful laundrette, j’ai vraiment eu du succès. » Film de genre, donc, The Hit, son second long métrage pour le cinéma (après Gumshoe en 1971, parodie de film noir américain), est présenté à Cannes en 1984 et sort en France sans tapage la même année. Avec ce polar métaphysique où l’ambiance est plus importante que l’histoire, on voit clairement à quel point le cinéaste a voulu se démarquer de la télévision dans ses partis pris de mise en scène. Notamment avec ces plans très larges où la voiture des tueurs escalade péniblement les collines arides de la Castille comme un scarabée asthmatique.
Ecrit par le dramaturge et romancier Peter Prince, The Hit s’inspire d’une nouvelle de l’auteur du Dictionnaire du Diable, Ambrose Bierce, intitulée Parker Adderson, philosophe, que Frears résume ainsi : «Une histoire de trois pages sur un espion qui doit être fusillé au matin, qui semble très bien prendre la chose et qui craque au moment décisif ». En partant de ces prémisses, Frears joue (comme dans Gumshoe) avec les codes sur lesquels il porte un regard distancié, ne serait-ce qu’en montrant l’enlisement progressif de la mécanique du polar dans l’absurde. L’équipée s’éternise, les tueurs perdent peu a peu leur assurance, dévoilent leurs faiblesses. Pendant ce temps le traître condamné à mort, Willie Parker (Terence Stamp), est serein, comme illuminé de béatitude. Ironique, il attise la discorde entre ses exécuteurs, Braddock (John Hurt), laconique homme de marbre, et Myron (Tim Roth), petit punk fantasque, et questionne leur professionnalisme. Ange maléfique comme son personnage de Théorème ou ascète cultivé, Terence Stamp traverse le film avec une légèreté égale. On ne sait jamais jusqu’à quel point son personnage bluffe quand il médite devant une cascade au lieu de fausser compagnie à ses gardiens, ou quand il cite les vers d’un poète mystique du xvII siècle, John Donne: «Ne sois pas fière, ô mort.. ».
Mais peu importe l’intrigue, qui ne comporte pas d’enjeu réel ? on se moque un peu de savoir si Willie Parker sera sauvé grâce à son détachement socratien. Ce que l’on retient avant tout, c’est la fluidité et le naturel apparent d’une réalisation qui est en fait très sophistiquée. Tout en utilisant les conventions (les tueurs très typés), Frears sort le policier de ses clichés. Foin de sombres ruelles et de pavés humides The Hit est un polar solaire et estival, qui s’inscrit dans les paysages arides de l’Espagne. Un thriller picaresque et épuré en même temps, où la luminosité aveuglante, la dérive abstraite des personnages dans un contexte géographique assez similaire font parfois penser au Profession reporter d’Antonioni (toutes proportions gardées). D’ailleurs, le film devient moins prenant quand il se veut plus rationnel, c’est-à-dire dans les a-cotes strictement policiers de l’action: l’enquête d’un inspecteur espagnol (le buñuélien Fernando Rey) qui suit le trio à la trace avec la police. Tâche d’autant plus facilitée que les tueurs jalonnent leur équipée d’une ribambelle de cadavres ? un gangster australien rencontré au mauvais moment, un pompiste trop curieux, etc.
Ce qui prime donc, c’est l’aisance de Frears pour faire respirer un film qui, scénaristiquement, n’est qu’un huis clos dans un véhicule. Grâce à cela, la virée meurtrière se métamorphose en voyage (dés)organisé idéal l’Espagne profonde en-dehors des sentiers battus, débarrassée des touristes, avec une dose infinitésimale de pittoresque ? la guitare néo-flamenca de Paco de Lucia ajoute à l’exotisme décalé du voyage. Car, contrairement à de nombreux cinéastes, Stephen Frears n a pas son pareil pour faire exister une scène quelconque par un détail apparemment anodin. Ainsi, lorsque Myron décide d’aller s’abreuver à une buvette, il ravage des individus qui rient de sa démarche affectée avec des ustensiles bricolés, puis détruit l’endroit, pendant qu’à l’arrière-plan une télé diffuse des images de corrida. Et non loin de là, des moulins à vent blanchis à la chaux rappellent une autre histoire d’errance espagnole, Don Quichotte. En poussant un peu, on pourrait comparer le lugubre Braddock au chevalier à la triste figure et l’hystérique Myron à son compagnon Sancho Pança… Référence mythique qu’on retrouve quand Myron s’étonne du nombre des châteaux en Espagne ? il n’en connaît pas la connotation chimérique Parker lui répond en homme cultivé : «Ce sont les témoins de siècles de défense contre l’invasion étrangère. Jadis, les chevaliers se battaient et trouvaient la mort à côté de leurs compagnons. » Sentence à peine déguisée du destin fatal qui unira les trois malfrats.
La mission perdrait graduellement toute réalité s’il n’y avait un quatrième personnage, qui ancre le «polar métaphysique » dans le charnel: Maggie, une jeune Madrilène incarnée par Laura Del Sol, dont le visage, la plastique et la vitalité animale préfigurent Béatrice Dalle, qui ne fera première apparition au cinéma que deux ans plus tard (en 1986 dans 37°2 le matin). Petite amie du gangster australien emmenée d’abord en otage, les deux tueurs ne se résolvent pas à s’en débarrasser: elle mord à pleines dents la main du gangster qui résiste à ses avances mais n arrive pas a la tuer. La chair, le corps, le sexe dominent la peur, tandis que la spiritualité affectée de Willie Parker n’est qu’une pure feinte face à la mort. Les trois gangsters représentent le genre policier, auquel Frears ne croit pas tellement dans le fond. Ce sont des fantômes d’un cinéma plus ancien, traditionnel, qui doivent disparaître pour que le cinéaste puisse enfin permettre à des personnages prosaïques et physiques comme Maggie de donner toute leur mesure. Ce sera tout l’enjeu de la trilogie londonienne à venir.
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}