Le Brooklyn d’Auster se révèle rêveur et poétique. Dommage que la mise en scène de Wayne Wang soit plutôt fade. Entièrement tourné à Brooklyn, Smoke semble parti pour explorer son petit arpent de banlieue, disséquer encore une fois les us et coutumes de populations vaguement exotiques, pas assez friquées pour vivre à Manhattan, trop empêtrées […]
Le Brooklyn d’Auster se révèle rêveur et poétique. Dommage que la mise en scène de Wayne Wang soit plutôt fade.
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Entièrement tourné à Brooklyn, Smoke semble parti pour explorer son petit arpent de banlieue, disséquer encore une fois les us et coutumes de populations vaguement exotiques, pas assez friquées pour vivre à Manhattan, trop empêtrées dans leurs antagonismes raciaux pour qu’on les regarde autrement qu’au travers d’une lorgnette folklorique vaguement condescendante. Pourtant, passé le plan paysagiste de rigueur, Smoke prend la tangente, s’affranchit du folklore faisandé : ce Brooklyn, aussi riche en surprises qu’une forêt shakespearienne, est parfaitement étranger à celui, funèbre et monochrome, de Little Odessa, comme à celui, vociférant et bariolé, de Clockers. Non que Smoke fasse l’autruche face à la décrépitude urbaine : grossesse adolescente, familles éclatées et ravages du crack sont ici d’autant plus présents que l’on n’a jamais affaire à des données statistiques travesties à la va-vite en personnages, mais à des individus suffisamment opaques, retors et charmeurs pour invalider tout discours manichéen. La malicieuse intrigue à tiroirs de Smoke, (trop) sagement mise en scène par Wayne Wang, est de Paul Auster, orfèvre en dispositifs narratifs captieux et sophistiqués, masqués par une écriture limpide. Auster écrivain flirte avec le fantastique, Auster scénariste aime Renoir et Ozu : la construction acrobatique de Smoke est mise au service d’une générosité de regard plutôt détonnante dans le paysage actuel du cinéma américain. Inspiré d’un conte de Noël écrit pour le New York Times, Smoke ose la féerie : un père amputé d’un bras (le cabotin Forest Whitaker qui semble ne s’être jamais remis de Bird ) redécouvre son fils, adolescent vif et roublard (l’irrésistible Harold Perrineau), le gérant magouilleur et bourru du Brooklyn Cigar Co se mue en généreux affabulateur et vient en aide à un écrivain en panne d’inspiration comme à une jeune paumée qui est peut-être sa fille (Harvey Keitel de Brooklyn est un Auggie Wren chaleureux). Hymne pudique à l’amitié, habituellement réduite au sempiternel « male bonding » (amitié masculine) des laborieux « buddy movies » (films de copains), Smoke a la légèreté de la fumée même, ses volutes baladeuses joignant en souplesse les morceaux d’un puzzle où l’argent sale s’avère rédempteur, le mensonge salvateur et le picaresque urbain enchanteur. Auster justifie ses choix en se référant aux comédies élisabéthaines, riches en travestissements et songes ; le déchirant Innocent when you dream de Tom Waits conclut Smoke en faisant définitivement basculer du côté du rêve ce film funambule.
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