Dans son livre projeté lors du festival Visa pour l’image, le photojournaliste norvégien s’est réinventé producteur de fake news. Une vertigineuse mise en abîme qui interroge le statut de l’image-vérité.
Pendant l’élection de Trump en 2016, Vélès, une ville de Macédoine du Nord, est sortie de son anonymat pour accéder au rang de grand hub de production des fake news. Vélès, c’est aussi l’un des dieux les plus importants du panthéon slave. Bien avant l’ère Trump et ses “faits alternatifs”, en 1919, un officier de l’Armée blanche exhume une série de tablettes en bois à moitié calcinées, couvertes d’une écriture proto-cyrillique.
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Quand un scientifique russe arrive à déchiffrer cette langue inconnue, le texte s’avère être une épopée évoquant les premiers peuples slaves et Vélès en personne. Révéré par les nationalistes panslaves, l’ensemble nommé Le Livre de Vélès est aujourd’hui considéré par la plupart des linguistes et scientifiques comme une contrefaçon inventée de toutes pièces par le militaire et le scientifique.
Des avatars 3D customisés
Lorsque Jonas Bendiksen, le photojournaliste de la mythique agence Magnum, apprend l’existence de la ville macédonienne, il creuse, s’abreuve de ces histoires et décide de se rendre sur place. Une pandémie plus tard, il rend son travail à son agence et publie un livre qu’il nomme The Book of Veles. Son sujet est acclamé, des magazines veulent le publier et, curieusement, il refuse.
Le sujet passe au festival Visa pour l’image – applaudissements – et, le lendemain, patatras. Jonas donne une longue interview où il dit n’avoir photographié que des lieux vides à Vélès, et les avoir peuplés d’avatars 3D, achetés sur le net et customisés par ses soins. Avoir aussi écrit le texte grâce à une intelligence artificielle en l’abreuvant d’autres textes qui ne sont pas de lui. Le premier reportage presque intégralement faux, pour mettre en avant la dissémination de mensonges dans le flux d’informations.
Un dessillement cruel
Méchamment brillant… Et mal perçu par une partie de la profession, qui brandit sa carte de presse comme un pass sanitaire qui garantirait l’absence du virus de l’altération plus ou moins délibérée du réel quand il devient information. Rien n’est simple.
On peut en tout cas remercier Jonas Bendiksen d’avoir fait naître un débat et une réflexion, même si le dessillement est assez cruel pour une profession déjà malmenée : il semble plus facile de porter un faux sujet photo au pinacle du photojournalisme quand on s’appelle Bendiksen que de refourguer une Rolex de contrefaçon au quincaillier du coin. Une leçon d’humilité, en fait.
The Book of Veles de Jonas Bendiksen (GOST), 148 p., 40 €, deuxième édition en précommande.
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