Marcial Di Fonzo Bo et la comédienne Frédérique Loliée recréent le spectacle d’anthologie de Matthias Langhoff, et réactivent un théâtre politique, entre guerre et cruauté. Du 12 au 15 mai 2022 à La Grande Halle de La Villette.
Ne vous fiez pas à l’idyllique nuit étoilée s’affichant sur le rideau de scène. Dès son ouverture, la vision du décor, aux allures de vieux gréement échoué, se réclame dans Gloucester Time – Matériau Shakespeare – Richard III d’une tout autre violence : à l’accrochage d’une grande toile représentant le calvaire de chiens pendus par la gorge à des piquets dans les neiges de Sibérie s’ajoute un voile tendu en travers du plateau déployant les furieux assauts des cavaliers de La Bataille de San Romano, peinte par Paolo Uccello en 1456.
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Avec une machine à jouer placée sous les étendards de la cruauté et de la guerre, Matthias Langhoff créait l’événement, en 1995, en présentant sa mise en scène choc de Richard III de William Shakespeare au Festival d’Avignon.
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La pièce réunissait une troupe d’acteur·trices issue de la première promotion de l’École du Théâtre national de Bretagne. Parmi eux·elles, dans le rôle du duc de Gloucester et futur Richard III, un jeune inconnu au charisme irrésistible brûle littéralement les planches, il se nomme Marcial Di Fonzo Bo.
Vingt-six ans après cette création, Marcial Di Fonzo Bo a décidé de réanimer le manifeste théâtral en le cosignant avec Frédérique Loliée, sa partenaire de l’époque dans le rôle de Margaret. “L’idée me trottait dans la tête depuis mon arrivée à la Comédie de Caen, que je dirige avec Élise Vigier, précise l’acteur et metteur en scène. En France, les spectacles sont voués à l’oubli. Matthias Langhoff a aujourd’hui 80 ans.
“Dans cette distribution, certains sont nés l’année de la création du spectacle.” Marcial Di Fonzo Bo
Recréer sa mise en scène, c’est réactiver la mémoire d’un théâtre épique et politique, c’est aussi faire un geste de transmission en convoquant à nos côtés une nouvelle génération d’acteurs. C’est fou, mais, dans cette distribution, certains sont nés l’année de la création du spectacle.”
Acceptant d’accompagner le projet, Matthias Langhoff, qui n’est pas homme à se retourner sur son passé, a très vite défini sa place : “Je reste un compagnon qui essaie de n’avoir aucun souvenir de l’ancien spectacle – ce qui m’est facile – et qui interroge de temps à autre leur travail à la lumière de ce que nous vivons aujourd’hui.”
Une nouvelle partition qui fait mouche
En s’entourant de Catherine Rankl, la peintre, décoratrice et costumière du projet original, l’aventure revendique sa fidélité aux enjeux d’hier à travers la trace d’une captation.
Frédérique Loliée enchaîne : “Le plus troublant, c’est que Marcial et moi avons vécu la pièce de l’intérieur. Notre mémoire du spectacle est parcellaire, elle se double de celle, très subjective, liée à l’expérience personnelle qu’il représentait pour nous.”
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Ultime point de friction entre passé et présent, la commande d’une traduction qui se substitue à celle de Jean-Michel Déprats. Une nouvelle partition où Olivier Cadiot rend compte en poète des métaphores et des saillies langagières shakespeariennes en les accordant à un lexique contemporain. Son parti pris fait mouche et ajoute à l’ironie cruelle du texte.
Du côté de la barbarie et de la géopolitique, rien n’a changé
Plus d’un quart de siècle a passé, mais l’émotion reste intacte dès les premières répliques de Marcial Di Fonzo Bo et Frédérique Loliée. Portant chapeau claque et genouillère d’acier, Richard demeure un éternel séducteur, un monstre qui fait rêver même s’il habite la peau d’un despote sans scrupule, engagé dans une sanglante course au pouvoir. Victime collatérale de sa conquête du royaume, Margaret apparaît en peignoir délavé avec son litron de déclassée, impayable dans sa révolte d’écorchée vive.
La nouvelle troupe s’accorde à ces icônes avec brio en tirant pour le meilleur son épingle du jeu. Éclat de réel au cœur de la fiction, on redécouvre le texte d’un reporter américain que Matthias Langhoff avait inséré dans la représentation pour témoigner de l’actualité de la guerre en Irak. Du côté de la barbarie et de la géopolitique, rien n’a changé. En s’ancrant au présent, la machine à voyager dans le temps argumente son retour vers le passé pour alerter sur un futur du pire qui nous pend toujours au nez. Un acte salutaire.
Gloucester Time – Matériau Shakespeare – Richard III d’après William Shakespeare, reprise de la mise en scène de Matthias Langhoff par Marcial Di Fonzo Bo et Frédérique Loliée. Du 12 au 15 mai 2022 à La Grande Halle de La Villette.
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