L’autrice-compositrice a l’audace de marcher sur un fil tendu entre une collante grandiloquence disco-glam et la sobriété du piano-voix amoureux. D’une attachante élégance.
Avouons-le, c’est une histoire d’amour qui partait mal. Le premier single, Le Dernier Jour du disco, m’avait quelque peu effrayée dans sa grandiloquence, son piano appuyé, la référence au soleil lointain et à ne pas se lâcher la main. Une frontalité explosive, doublée d’une rythmique façon course au galop qui péchait par excès. Et puis, il y eut la magie Juliette Armanet. Les paroles en poésie ciselée, l’écriture en bouffées jouissives, la mélancolie en lâcher-prise, la sincérité du cœur à nu, croqué tout cru.
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Voici que l’on retrouvait un vieil amour toujours aussi vaillant. Brûler le feu, son deuxième album, est à cette image : effrontément emballé, brûlant par tous les bouts de chair et d’âme, rouge sang d’extase et de pleurs, chialant et boule à facettes, d’une fragilité mutée en force. Il est tel celui d’une écorchée vive qui retrouverait son enveloppe charnelle, se redressant de toute sa hauteur dans les arrangements piano-voix, jusqu’à esquisser les plus sincères pas de danse en costard noir.
Armanet dénude et retisse, absout et se grise
Quatre ans après Petite Amie, sacrement immédiat, Juliette Armanet parle toujours d’amour. Et alors ? Il n’y a en définitive pas de plus beau sujet, insaisissable, brumeux, épineux, paradoxe ambulant, seul capable de nous sortir véritablement de nous-mêmes pour entrer là, enfin, dans l’autre.
Difficile de revenir dans sa propre peau après coup… Alors, il reste Brûler le feu, comme griller le feu au rouge dans un excès de vitesse (colérique ? alcoolique ? suicidaire ?), comme brûler si fort que l’on arriverait soi-même à brûler le feu, ou encore brûler si fort que l’on deviendrait soi-même soleil – ce soleil qui revient partout dans ses paroles, incandescent.
Entourée du merveilleux SebastiAn, dont les talents de producteur sont décidément remarquables (Charlotte Gainsbourg, Frank Ocean…), comme de Yuksek et Victor Le Masne, Armanet dénude et retisse, absout et se grise d’un sentiment fantasmé, adresse caresses et clins d’œil à la soul, au r’n’b, au gospel, portant ses treize morceaux de sa voix sansonesque, sans jamais virer célinedionesque. Armanet ne crie pas, elle s’élance et saute, du haut de la falaise, pénétrant dans l’eau avec une forme de grâce et de détermination.
On l’imagine très bien Jeanne d’Arc en armure, allumant des brasiers de cette allumette qu’elle porte collée à ses lèvres sur la pochette de l’album, sans peur du too much ni du raté, quitte à nous mettre mal à l’aise devant tant d’envolées naïves. Clin d’œil au It Ain’t Over ’Til It’s Over de Lenny Kravitz, Boum Boum Baby transpire une sucrerie façon Vanessa Paradis, avec ses violons et son “plus cool des je t’aime”. Si Sauver ma vie, Le Rouge aux joues, HB2U et L’Épine figurent parmi les plus beaux titres de l’album, c’est sans hésitation aucune Vertigo, hommage hitchcockien à l’amour dévorant, qui happe d’une traite, avec SebastiAn posant sa voix spectrale comme un amant qui s’efface.
Sous couvert de déchirure amoureuse, Armanet nous offre, à nouveau, une proposition de bousculade, légèrement sans gêne et malaisante, déroutante de mise à nu et pourtant enveloppée dans la moirure d’un songe frénétique. Le récit est emballé et orchestré, romancé et peut-être même rêvé, fou du désir de l’amour et de l’autre, du don et du pardon.
C’est un vaste vacillement qui surgit des profondeurs de cet album, à première vue roucoulant comme une variétoche inspirée disco, et pourtant si fort, si grand, si beau, taché d’un rouge de colère, de chair, d’éclat. Brûler le feu a cramé la mièvrerie pour ne retenir qu’un grand choc thermique, celui d’une artiste en plein réveil, s’ébrouant sur l’herbe humide, les joues cramoisies. Retenons “Moi, je ne sais pas bien faire les gâteaux d’anniversaire, je ne suis pas faite pour l’ordinaire, sorry partner”.
Brûler le feu (Romance Musique/Universal). Sortie le 19 novembre.
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