Après avoir fait exploser son cadre familial dans un engrenage mensonger, “Mytho” explore dans sa deuxième saison la dynamique de l’emprise sous la forme d’une comédie de remariage aux enjeux trop distendus.
La rencontre entre la romancière Anne Berest, qui s’est inspirée de la façon dont le cancer de sa mère a remodelé la dynamique de ses rapports familiaux pour en tirer un scénario original, et Fabrice Gobert, qui avait secoué le territoire alangui des séries françaises avec Les Revenants et prend en charge la réalisation du script, avait généré des étincelles dont nous avions accompagné l’écho critique réjoui.
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Portrait d’une mère de famille débordée par son travail et délaissée par les siens qui s’inventait un cancer du sein pour attirer l’attention de son entourage, la première saison de Mytho, diffusée sur Arte en 2019, tordait les attendus de la fiction domestique dans un mélange d’absurdité et de noirceur, et infusait les codes de la comédie classique américaine dans l’imaginaire propret des banlieues pavillonnaires françaises.
Chevillée au mensonge initial de sa desperate housewife incarnée par Marina Hands, la série en dépliait l’effet boule de neige dans un engrenage de dissimulation qui ne pouvait que finir par s’écraser contre le mur de la vérité. En renouant avec la puissance par la duperie et en trouvant une forme de liberté dans le mensonge, Elvira faisait finalement vaciller les constructions sociales qui l’enserraient.
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Spectatrice de sa propre vie
La fin de Mytho, conçue par Anne Berest comme une mini-série, avait été réécrite à la demande de Fabrice Gobert pour ouvrir sur une deuxième saison. La vérité ayant éclaté et provoqué l’explosion de la cellule familiale, Elvira s’était réfugiée chez les voisins d’en face tandis que Lorenzo, un mystérieux « cousin » lancé à sa recherche, avait fait son apparition.
On la retrouve ainsi en spectatrice de sa propre vie, espionnant par la fenêtre ses proches qui se remettent plus ou moins bien de sa disparition. Patrick, son époux (Mathieu Demy, plus déphasé que jamais), dort dans une cabane dans le salon et refuse de se laver, Sam est amoureux d’un pervers narcissique, Carole n’est pas insensible aux charmes de Lorenzo et Virginie se rapproche de la secte de Mme Ménard.
Dès le premier épisode, on retrouve l’inquiétante étrangeté qui faisait le sel de la série, sa façon d’exprimer le bizarroïde du cadre le plus normatif. D’une rue pavillonnaire qui se pare des décorations de Noël à une virée au supermarché parasitée par des annonces publicitaires décalées, Mytho affirme son anti-naturalisme avec une fraîcheur de touche et une mise en scène inspirée, et continue d’arpenter un imaginaire très contemporain, notamment autour des stéréotypes de genre.
Si Elvira constituait le pôle magnétique de la première saison, elle devient cette fois satellitaire pour laisser aux personnages qui l’entourent l’espace pour s’épanouir de façon plus affirmée. Une nouvelle fois invisibilisée, elle va tenter de reconquérir les siens en assumant la vérité (accomplissant paradoxalement le trajet inverse de la première saison), mais sera rattrapée par des mensonges plus anciens.
Une appréhension ludique des codes de la comédie de remariage
Si l’on éprouve un plaisir évident à retrouver les personnages et le ton décalé de la série, la mécanique dramatique peine à se remettre en route, l’effacement relatif d’Elvira étant contrebalancé par une arborescence d’enjeux moins incarnés. Les nouvelles pistes esquissées sont investies avec une fortune relative : l’idée d’une généalogie du mensonge, cristallisée par le personnage de Lorenzo, vient éroder la singularité de la supercherie initiale, quand les phénomènes d’emprise qui enserrent Patrick et ses trois enfants sont associés à des personnages archétypaux (le pervers narcissique, l’amante esseulée, la gourou magnétique…).
C’est par son appréhension ludique des codes de la comédie de remariage que cette saison tire finalement son épingle du jeu, dialectisant la vérité et le mensonge comme composantes complémentaires de la structure familiale, dont les sorties de pistes participent de l’équilibre précaire.
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Mytho saison 2, d’Anne Berest et Fabrice Gobert, avec Marina Hands, Mathieu Demy… Sur arte.tv.
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