Un bataillon de romans estampillés « adapté au cinéma » a inondé les librairies en cette rentrée. Nouveau label de qualité ? Naissance d’un genre romanesque hybride ? Oui, mais pas seulement…
Pourquoi ne pas dire haut et fort ce que tout lecteur averti, amoureux, compulsif, souffle à sa psyché meurtrie depuis qu’existent les salles obscures ? L’adaptation de roman au cinéma est ontologiquement synonyme de traumatisme. C’est un fait : devant leurs avatars de cinéma, les traits de nos héros de romans préférés, lentement façonnés par notre imaginaire, s’effacent.
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Ainsi en va-t-il du pauvre Rhett Butler englouti par le dentier de Clark Gable, d’Elizabeth Bennet par le regard carnassier de Keira Knightley, de la princesse de Montpensier par le corps privé de cou de Mélanie Thierry…
Comme si le deuil n’était déjà pas assez difficile à faire, la sortie du film est généralement assortie d’une réédition du livre, avec nouvelle couverture. En théorie, cette douloureuse conversion n’a jamais été aussi vraie qu’en ce mois de janvier, avec la sortie d’un bataillon de romans ayant récemment inspiré un film.
Entre ceux qui l’affichent fièrement (couverture, bandeau), ceux qui timidement anticipent (c’est pas encore fait mais presque) et ceux qui font valoir le double statut d’écrivain-cinéaste de leur auteur (les sorties concomitantes du film Pieds nus sur les limaces et du roman Un jardin sur le ventre de Fabienne Berthaud), on comprend vite qu’il est de bon ton pour un roman de faire valoir ses affinités avec le 7e art…
Le risque du roman prêt-à-adapter
Le cinéma, argument de vente imparable d’un livre ? Gage suprême de sa valeur ? Sous l’effet d’annonce, c’est ce que le sous-texte semble dire. La formule « adapté au cinéma » agit comme un label requinquant, garant d’une esthétique pleine de vitamines : de l’action, du drame, et surtout pas trop de descriptions.
L’issue de tout cela pourrait bien être une génération de romans-scénarios, sans chair, écrits dans le seul espoir de se faire adapter… Dans le cas des romans concernés, il s’agit encore d’une simple aura qui émigre du film au livre…
Ainsi, on a beau nous vendre True Grit comme le « roman culte » de Charles Portis, écrit en 1968, il gagne surtout en glamour grâce à l’adaptation qu’en font les frères Coen, transfiguré par le sourire blanc de Matt Damon. Le livre, en lui-même, enfile les dialogues de western dans une honnête chasse à l’homme, dont la jolie spécificité est d’offrir le rôle du poursuivant à une gamine de 14 ans. Idem pour Submarino de Jonas T. Bengtsson, nettement plus corrosif, surfant aussi sur le nom de Thomas Vinterberg (Festen), qui l’a porté à l’écran.
La plus grande retombée de paillettes bénéficie à Dans ses yeux, roman argentin dont l’adaptation en film a tout simplement été couronnée par l’Oscar 2010 du meilleur film étranger. Là encore, c’est une bonne raison de découvrir le roman d’Eduardo Sacheri : livre dans le livre, qui fait le récit d’un fait divers non élucidé (une jeune femme enceinte violée et tuée) sous la dictature argentine. Roman sur la folle mécanique du désir de vengeance, sur un amour obsessionnel et (en)quête éperdue dans un monde sans horizon politique.
http://www.youtube.com/watch?v=eNfys5yW1sw
Au fond, on ne peut que se réjouir de voir trois bons romans paraître grâce au levier de leur sortie en films, et qu’on n’aurait peut-être jamais pu lire autrement. Sans doute cela témoigne-t-il d’une nouvelle passerelle, d’un lien plus vif entre le cinéma et la littérature non pas classique (stop !) mais contemporaine.
Ce récent rapport fusionnel s’illustre de manière particulièrement belle et surprenante avec l’adaptation annoncée d’En attendant Robert Capa par Michael Mann. Le premier roman traduit de l’Espagnole Susana Fortes relate les amours du célèbre photographe du point de vue de son amante, réfugiée juive dans le Paris des années folles. Romance fascinante, fresque tragique et étincelante rattrapée par l’antisémitisme et basculant bientôt dans la guerre d’Espagne, pour laquelle on succombe comme a succombé le réalisateur de Miami Vice.
Emily Barnett
En attendant Robert Capa de Susana Fortes (Editions Héloïse d’Ormesson), 254 pages, 19 euros
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