Comme chaque année, la journée des Grands Prix de Littérature dramatique et Littérature dramatique Jeunesse se déroule au Conservatoire National d’Art Dramatique de Paris. La remise des prix aura lieu lundi 18 octobre.
C’est un rituel désormais bien rôdé. Tous les ans, la journée des Grands Prix de Littérature Dramatique réunit le jury qui désigne les deux lauréats choisis parmi les six finalistes désignés en septembre (quatre pour la Littérature Dramatique et deux pour la Littérature Dramatique Jeunesse) lors d’une soirée ouverte au public. L’occasion d’affirmer la littérature dramatique comme un genre littéraire à part entière et de faire connaître ses éditeurs qui soumettent à ARTCENA, centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre, leur sélection d’ouvrages.
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Depuis 2018, cette soirée est précédée d’une journée professionnelle intitulée Connect, autour des écritures professionnelles réunissant auteurs, traducteurs, metteurs en scène, comédiens, programmateurs, éditeurs, libraires, pédagogues… Thème retenu pour 2021 : “Monter ou programmer un texte contemporain : quelles nouvelles pistes pour renforcer la rencontre entre les auteurs et le plateau ?“
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Faire entendre les rumeurs du monde
Si, avec cinq autrices et un auteur sélectionnés pour les Grands Prix, la parité est certes un peu mise à mal (on peut toujours arguer d’un retard à rattraper qui justifie ce déséquilibre), il est notable de constater qu’un fil rouge les relie indubitablement : faire entendre les rumeurs du monde dans leur diversité et mettre des mots sur sa complexité et ses points d’achoppement. Pour la jeunesse, Sophie Merceron use d’un onirisme trempé dans le réel le plus impitoyable pour évoquer dans Manger un phoque la solitude de Picot, petit garçon orphelin qui fuit l’école pour se réfugier chaque jour dans un zoo abandonné qui bruisse des voix des animaux disparus. Des dialogues où la brutalité du contexte est atténuée par la tendresse, le besoin éperdu de consolation et la part majeure de l’imagination pour y parvenir.
Dans Normalito, Pauline Sales imagine un duo magnifique où deux enfants, Lucas, qui étouffe sous sa normalité inconfortable, et Iris, trop douée, trop différente, trouvant d’abord refuge dans la famille de l’autre avant de s’enfuir ensemble en se mettant sous la protection d’une dame-pipi transsexuelle. L’occasion de mettre des mots sur la dépression infantile, le chômage, la tolérance à l’égard de la différence et de la diversité à travers des dialogues délurés qui ne craignent d’aborder aucun sujet.
Quatre styles différents
Quatre styles éminemment différents sont en lice pour le Grand Prix de Littérature Dramatique. Une dramaturgie classique au service d’une thématique ultra-contemporaine pour Le Iench d’Eva Doumbia qui se lit d’une traite. On y suit le parcours de Drissa, Français d’origine malienne, et de sa famille. Exil, impossible intégration, violence policière à l’égard des Noirs (entre chaque acte, un chœur énumère la liste des victimes noires tuées par la police), Le Iench bouleverse par la justesse de ses dialogues et l’attention portée à chaque personnage.
L’écriture fragmentaire d’À la carabine de Pauline Peyrade permet au lecteur d’approcher les différentes strates de la mémoire d’une jeune fille (les deux personnages s’appellent L’arme et La cible), victime dans son enfance de violence sexuelle, qui décide de confronter son agresseur et de se venger. Un style coupant, comme autant d’uppercuts pour dire la violence de l’agression, sa nauséeuse répétition dans les fibres de l’être qui l’a subie, son écœurante justification du côté de l’agresseur.
Intitulé récit, Gratte-ciel de Sonia Chiambretto entremêle les époques et les personnages pour proposer une traversée de l’Algérie depuis sa lutte pour la décolonisation, en passant par la décennie noire des années 90 jusqu’aux luttes contestataires contemporaines. Choral, incantatoire, Gratte-ciel déroule les parcours de personnages qui reflètent toutes les facettes et tous les visages de la guerre sans merci qui teinte de rouge sang Alger la blanche depuis tant d’années.
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Enfin, dans Neuf mouvements pour une cavale, Guillaume Cayet fait le pari d’un monologue fiévreux pour relater la traque de Jérôme Laronze, l’histoire véridique d’un paysan abattu dans le dos par un gendarme pour avoir résisté aux injonctions de traçage sanitaire de ses bêtes et de l’agro-industrie au nom d’une agriculture humaine. C’est par la voix de Marie-Pierre, sa sœur avocate, que Guillaume Cayet déroule la traque d’un homme qui paya de sa vie son engagement. En préambule, Guillaume Cayet résume l’histoire de Jérôme Laronze et conclut : “Le 20 mai 2018, je me rends sur sa ferme pour la commémoration de son assassinat. Sa sœur m’informe que le dossier que le juge d’instruction est en train d’instruire n’est pas celui du gendarme – qui officie encore avec son arme à quelques kilomètres de la ferme de Jérôme Laronze – mais le dossier de son frère.“ Choisissant de donner la parole à sa sœur tout au long de son texte, Neuf mouvements pour une cavale lui permet, telle une Antigone contemporaine, de dénoncer la mort de son frère.
Rendez-vous lundi soir à 18h30 au CNSAD ou sur la page Facebook d’ARTCENA pour suivre en direct la remise des prix !
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