Infatigable porteur et passeur de projets, le génial Britannique revient avec album solo, The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows. Loin de Blur ou Gorillaz, deux de ses maisons mères, il y développe paisiblement une pop sans pop.
Interview #1, 1991. “Nous n’avons jamais réfléchi à notre futur car nous étions certains que nous n’en aurions pas… Nous sommes très nihilistes, la tête vide. Nous n’avons aucune motivation, aucune ambition”
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Interview #2, 1991. “Je suis très discipliné. Je me lève tôt, puis je fais du yoga, puis je bosse jusqu’à 17 h, puis je fais la cuisine, puis j’écoute des musiques qu’on m’a recommandées, puis je me couche…”
Entre ces deux entretiens, le premier et le dernier en date de Damon Albarn pour ce magazine, trente années se sont écoulées. Un siècle, à l’échelle de la pop music. Depuis ses débuts, le Londonien revendique une admiration fidèle pour David Bowie. Ce n’est pas une posture obligatoire de chanteur pop anglais, ni certainement un vœu pieux : il a connu tant de personnages, tant de métamorphoses que lui-même peine à recenser tous ses masques, tous ses projets parallèles, ou perpendiculaires même parfois. Blur, Africa Express, Gorillaz, The Good, the Bad and the Queen, Rocket Juice and the Moon, The Heavy Seas…
Le jour où il nous a longuement reçus dans son quartier londonien afin de discuter de son nouvel album solo, The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows, il venait de donner un gigantesque concert en Russie avec ses Gorillaz, commençait à travailler sur un projet avec des musiciens maliens et s’apprêtait à répéter avec une formation symphonique de Reykjavík. On l’avait pourtant connu plus insulaire. On le trouvait même tellement anglais quand on le voyait, à ses débuts, drapé dans un drapeau britannique, aujourd’hui trop riquiqui pour couvrir toutes ses incarnations. Car Damon Albarn a appris à voyager, à rencontrer, à partager.
Road Music
Son nouveau disque, son second en solo, sort ce mois-ci. Loin des derniers soubresauts électriques qui agitent Londres, il a été conçu sous l’influence disparate de quelques musiciens contemplatifs d’Islande ou d’un batteur nigérian, son ami Tony Allen récemment disparu. Inutile de le préciser : on s’éloigne ici de la pop music telle qu’on la connaissait, telle qu’elle ronronnait, domestiquée dans sa panière en tweed. Mais même dans cette musique de peu, de paix, Damon Albarn ne peut s’en empêcher : il joue pop. Même sans refrain, même sans mélodie aisément sifflable sous la douche. C’est son ADN, son âme, sa richesse, mais jamais sa prison, tant il sait en déconstruire les structures formelles, en cocufier les dogmes.
Il fut pourtant, jeune gommeux prêt à en découdre avec la terre entière, le héros aujourd’hui dérisoire de deux ou trois saisons de Britpop. Faussaire habile de quelques bijoux de la Couronne, des Kinks à Madness, il fit semblant d’être nigaud, arrogant, inculte et lad pour se conformer à un rôle dégradant. Mais il le dit lui-même, par expérience : il est très mauvais acteur. Le naturel a ainsi vite repris le dessus, abandonnant les frères Gallagher à leurs refrains rétrogrades, à leur rock conservateur à cheveux courts et idées courtes.
Quand on voit le parcours inouï qu’a connu la musique de Damon Albarn depuis trente ans, on ne peut qu’être consterné de le voir encore et toujours associé à cette vaguelette demi-molle. Sa curiosité, éveillée tôt par une famille où régnaient art, musique et culture, l’a vite écarté de cet anglocentrisme confit dans la naphtaline. Il existe un album de Lou Reed du nom de Growing Up in Public (1980).
Ainsi a grandi aussi, depuis trente ans, Damon Albarn : en public. Chaque nouvelle phase, chaque nouvelle expérimentation ou rencontre musicale, chaque nouvelle coupe de cheveux aussi (dont un récent mulet digne de la Bundesliga 1975) est ainsi cataloguée dans une passionnante discographie, dont on est loin de connaître les contours et la géographie définitifs. Comme dans ces dessins enfantins où il faut relier les points pour révéler une image globale, chaque album de Damon Albarn reste une étape, jamais une fin en soi.
Le voyage n’aura pas de fin
Son écriture témoigne d’une liberté d’exécution que peu d’artistes – toujours les mêmes, de Kanye à Radiohead – peuvent revendiquer. Reste ensuite à son arsenal de proches, de groupes et de projets à accueillir pour un disque ou une tournée la dernière tentation de Damon Albarn. Et si les habituels refuges, de Blur à Gorillaz, se révèlent étriqués, inadaptés, il crée alors un nouveau groupe, une nouvelle identité. On ne parle surtout pas de caprices, tant reste actif son besoin de collaborer, de transmettre, de faire.
L’homme de 53 ans, qui nous a reçus fin août dans sa vaste tanière de l’Ouest londonien, n’a que faire des cours théoriques : il excelle dans les travaux pratiques. Le plus récent, The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows, révèle une facette apaisée, méditative de cette écriture frénétique. Il devait être mélancolique, symphonique : la pandémie l’a obligé à jouer plus serré, plus intimiste. La suite sera peut-être rock, hip-hop ou afrobeat : le voyage n’aura pas de fin. C’est ce qui rend si fascinant cet unique trip pop.
Tu as sorti ton premier album solo, Everyday Robots, assez tard dans ta carrière, en 2014. Pourquoi tenais-tu tant à la notion de groupe ?
Personne ne l’a jamais entendu, mais mon premier album, à 18 ans, était un disque solo. Je venais de quitter la maison familiale pour tenter à Londres des cours d’art dramatique. Mais j’ai vite compris que faire l’acteur n’était pas mon truc. J’ai d’ailleurs retenté de jouer dans les années 1990, dans Face d’Antonia Bird : un échec à nouveau.
Mais là, à 18 ans, j’ai trouvé un petit boulot dans un studio d’enregistrement, The Beat Factory. J’ai profité des moments creux pour faire cet album. Je ne me souviens que de deux chansons… C’était juste une première expérience, rien de transcendant. Puis j’ai rencontré les autres et Blur est devenu, pendant dix ans, la chose la plus importante de ma vie.
Par la suite, j’ai monté peu à peu une équipe incroyablement versatile, talentueuse et schizophrénique de musiciens prêts à me suivre sur tous mes projets, de Gorillaz à The Good, the Bad & the Queen… Leur capacité d’adaptation est sidérante, on a joué il y a quinze jours face à 50 000 personnes, puis face à quelques centaines seulement, une semaine plus tard, dans un cadre très formel. Je n’ai pas toujours eu la chance de rencontrer des gens aussi ouverts et curieux dans l’industrie du disque.
Ils sont tellement sur un siège éjectable que la pression les paralyse. Ils n’osent rien. Ou alors prennent des positions absurdes. On m’a demandé des choses humiliantes dans ma carrière. Certaines que je n’ai pas osé refuser. Je dis non aujourd’hui. C’est mon nom qui est en jeu, c’est ma responsabilité de ne pas lui accoler des regrets.
La musique était-elle importante à la maison ?
Nous n’en avons jamais joué ensemble, mes parents et ma sœur étaient tous des artistes très talentueux, reconnus, mais pas des musiciens. Ce qui ne les empêche pas, en tant qu’artistes, de formuler des avis très tranchés sur ma musique. Et aussi de m’encourager sans répit. Sauf quand je faisais trop de bruit à une heure inappropriée. Ça me donnait enfin une raison de claquer ma porte en hurlant. Un peu de conflit reste nécessaire dans les relations entre enfants et parents.
Même si, avec les miens, il y avait peu de raisons pour déclencher une révolte adolescente. Ma mère a travaillé au Japon, au Malawi, sur des pièces de Shakespeare, je lui dois sans doute mes frénétiques envies de voyages et de rencontres. Il y avait des disques venus de la terre entière, notamment d’Afrique. La créativité était la norme à la maison, chacun s’enfermait dans son studio après dîner. Ça ne m’a jamais quitté, j’ai même envisagé pendant le confinement de sortir un album de musique ambient par semaine pendant une année.
Pour toi, la musique a toujours été une évidence ?
J’ai été tenté par les arts graphiques. Mais écrire, quelle que soit la destination, a toujours été mon refuge face au monde. Ensuite, sous quelle forme ça sera joué, avec quelles dynamiques, c’est moins important pour moi. Ça me concerne moins.
“J’adore changer de peau, vite fureter loin de ce que je viens d’explorer“
As-tu des rituels liés à l’écriture ?
J’ai besoin d’espace et d’une fenêtre devant laquelle rêvasser. La solitude est aussi fondamentale. Et les accords mineurs, vers lesquels je reviens systématiquement… [Il s’installe au piano et joue plusieurs mélodies, toutes plus tristes les unes que les autres] Je fais définitivement partie de cette école britannique de la mélancolie. Ça remonte aux comptines et chansons folkloriques que l’on apprend à l’école. Toutes se complaisent dans les accords mineurs. J’essaie de m’en sortir, mais c’est incrusté en moi. Par exemple, même si je les ai écartées à la fin, trois chansons de l’album évoquaient Nick Drake. Je pensais souvent à lui, dans le Devon.
Comment analyses-tu ta frénésie de projets ?
[Il se prend la tête entre les mains…] À la base, il y a un vrai plaisir à faire, à inventer de la musique. Surtout avec d’autres musiciens. J’adore changer de peau, vite fureter loin de ce que je viens d’explorer. Ce n’est pas de l’impatience, c’est plutôt une forme de nonchalance venue avec les années… Si je restais scotché sur les dogmes, aussi coincé sur les principes, je ne pourrais plus avancer, sortir des rails. Je suis un chantier permanent.
Je m’y perds moi-même parfois car je ne range et surtout ne recense rien de mon travail. J’ai des poubelles pleines de musiques. Gamin, je voulais partager chaque refrain que je composais. Aujourd’hui, j’ai des heures de musiques que personne n’a entendues. Je ne cherche plus la confirmation, le regard des autres. Je perds tout…
Par exemple, le célèbre criminel londonien Reggie Kray m’a fait parvenir dans les années 1990, Dieu sait comment, plusieurs carnets de manuscrits. Il avait été condamné à perpétuité et il voulait que je mette ses textes en musiques. J’étais un peu affolé qu’il possède mon adresse personnelle et puisse faire sortir de tels documents d’une prison de haute sécurité. Mais il était très poli, m’envoyait même des fleurs. Eh bien, j’ai réussi malgré tout à égarer ces carnets.
Ils fourniraient pourtant une matière inouïe à une pièce de théâtre ou à un livre… Je serais incapable de fournir quoi que ce soit pour une rétrospective consacrée à ma musique. Contrairement à David Bowie, qui avait confié tous les documents de l’exposition David Bowie Is, je ne garde rien. Archiver, c’est activer l’ego. Et plus je vieillis, plus mon ego me fait honte. Je refuse ainsi tout projet d’autobiographie. Moi qui suis passionné d’histoire, je me fiche de la mienne. Celle des autres est plus riche et passionnante.
Quelle est ta qualité principale ?
Relayer le message. J’adore faire le pont, c’est un privilège. Rien ne me fait plus plaisir que de partager une musique incroyable que l’on vient de me faire découvrir. J’ai mon réseau d’informateurs, mes filtres, dans tous les genres… [On lui parlera plus tard de Glenn Branca, qu’il ne connaissait pas. Il prendra note solennellement] J’aime en parler avec mes mots, avec mon prisme. Sinon, on vire à l’académisme. C’est pour ça que nous avons monté les tournées Africa Express : pour partager cet esprit, son essence, sans grand discours.
Ton ami et mentor, le batteur nigérian Tony Allen, est décédé en 2020. Qu’as-tu appris de lui ?
Ce jour-là, j’ai perdu l’un de mes meilleurs amis… [Il soupire longuement, les yeux humides] Il a vécu une vie riche et merveilleuse jusqu’à ses 80 ans. Il y a des années, je suis devenu obsédé par les premiers albums de Fela Kuti. À Londres, je passais alors ma vie chez le disquaire Honest Jon’s, à deux pas de chez moi. Les vendeurs m’ont éduqué, nourri de sons que j’ignorais, dont Fela…
Dans une chanson de Blur, j’ai alors fait référence à son batteur, Tony Allen, en chantant “Tony Allen got me dancing” [sur le titre Music Is My Radar, en 2000]. Quelqu’un l’a prévenu et, immédiatement, il m’a invité à participer à son prochain album.
Nous nous sommes retrouvés dans un petit studio londonien et je suis tout de suite tombé amoureux de lui. Il a totalement chamboulé ma vie et ma musique – je lui dois tant. Spirituellement, il m’a éveillé. J’ai eu une chance inouïe de passer autant de temps en sa compagnie, de voyager dans le monde entier.
Comment l’égoïsme se manifeste chez toi ?
Dans mon besoin de sommeil par exemple. Je ne suis pas un couche-tard, ma vie est très éloignée de ma réputation de fêtard. Je ne pourrais pas mener à bien tous mes projets si je faisais la bamboche tous les soirs. Je suis très discipliné. Je me lève tôt, puis je fais du yoga, puis je bosse jusqu’à 17 h, puis je fais la cuisine, puis j’écoute des musiques qu’on m’a recommandées, puis je me couche… Une journée normale au travail !
Découvrir des musiques inconnues est une grande inspiration pour moi. Par exemple, j’ai récemment entendu à la radio une pièce de Górecki que je ne connaissais pas, ça m’a vraiment secoué. Sa musique, dans toute sa mélancolie, toute sa lenteur, reste étonnamment pop. Comme chez Arvo Pärt. J’adore ces musiques orchestrales ; l’Islande, où je vis une partie de l’année, reste l’endroit idéal pour les apprécier.
Mon nouvel album puise ses racines, son ADN même en Islande… Je passe ma vie à regarder la baie et la paix depuis la grande fenêtre de ma maison – le disque ne pouvait être que contemplatif. J’aime la majesté mais aussi la violence qu’incarne la montagne Esja, qui domine ma maison comme un géant assoupi. C’est pour elle que je chante depuis ma fenêtre, elle est devenue ma confidente.
Tout cet espace, son aspect tragique, est propice à cette tristesse. L’essence du nouvel album The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows vient de ces musiques étales. Si je suis à l’intérieur de la maison, dans mon cocon, regarder ce monde hostile, ce climat infernal reste une expérience très apaisante. En revanche, si je suis dehors, ça peut faire paniquer.
La musique, c’est le vent glacé, le bruit du chaos, le vacarme du magma que l’on devine sous les fumerolles. Mais tout n’est pas tristesse en Islande. On peut ainsi – je n’en raconterai pas plus – tous finir à poil chez moi, en train de faire des concours de breakdance. Je le recommande vivement. Ça arrive naturellement, après beaucoup de boissons étranges. Quelle libération !
Comment as-tu déniché cet endroit dingue ?
Enfant, je faisais constamment ce rêve dans lequel je lévitais au-dessus d’un désert de sable noir. Et un jour, je regarde sur la chaîne National Geographic un reportage sur l’Islande et je découvre effaré les images de mon rêve. J’ai commencé à y passer beaucoup de temps à partir de 1996.
Les autorités ont même fini par m’accorder la nationalité islandaise. C’est une grande fierté, surtout quand le Royaume-Uni se recroqueville sur lui-même en votant pour le Brexit. J’apprends la langue, sans grande confiance : ils parlent tous couramment anglais.
En Islande, même si je fréquente des musiciens comme Björk ou Sigur Rós, je ne suis pas une pop star. Ils n’ont aucune fascination pour les célébrités. Ça se mérite, ça ne se vole pas. On peut admirer le travail d’un artiste sans le vénérer lui. La célébrité, ça n’a pas apporté grand-chose à la culture.
Elle paralyse tant de musiciens, leur interdit d’évoluer… Elle devient une prison. La pandémie nous a rappelé la nécessité d’une plus grande humilité, d’une alimentation plus respectueuse. On nous a trop vendu de chimères, de mondes artificiels. C’est à cause de ces mensonges que nous sommes dans une telle merde.
“En Islande, paumé dans les montagnes, un type étrange fabrique des marimbas à partir de pierres de lave”
Comment as-tu vécu le confinement ?
En tant que musicien, le choix était d’accepter l’absence complète de concerts ou de tenter des expériences inédites, basées sur des propositions externes. J’ai de gros doutes sur les prochaines années, même si j’ai enfin pu jouer un peu cet été. Au départ, The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows devait être très orchestral, avec beaucoup de cuivres : trois trombones, deux cors anglais, du tuba mais aussi des violoncelles, des violes, des violons…
En Islande, paumé dans les montagnes, un type étrange fabrique des marimbas à partir de pierres de lave, il m’en a monté un, gigantesque… Il lui a fallu des mois pour trouver certaines pierres incarnant des notes précises de musique.
Au départ, l’album devait donc être moins orienté chansons, plus symphonique, plus abstrait, entièrement enregistré en Islande. Mais finalement, j’ai dû rentrer en Angleterre et me réfugier dans ma maison du Devon. J’ai dû adapter l’album aux circonstances. J’ai embarqué mes vieux complices Simon Tong [The Verve, Gorillaz…] et Michael Smith [Blur, Gorillaz…], et nous avons enregistré avec les moyens du bord.
Par exemple, faute de batteur, j’ai ressorti une vieille boîte à rythmes. Pour les versions orchestrales de ces chansons, il faudra attendre 2022 et une tournée dans quelques théâtres prestigieux. Ça sera beaucoup plus contemplatif que l’album. Nous jouerons en projetant des films incroyables tournés autour de chez moi, en Islande.
Mais j’ai adoré travailler avec des contraintes, des limitations. Le son et l’ambiance ainsi obtenus me plaisent beaucoup. En travaillant de manière artisanale, nous nous sommes débarrassés du superflu, des gadgets. Redécouvrir la simplicité a été un défi exaltant. C’est un album sans pop. La pop music, ça ne m’intéresse pas du tout en ce moment, ou alors en la tordant dans tous les sens avec Gorillaz.
J’ai 53 ans, j’ai passé l’âge de jouer aux gommeux. Ça m’arrive encore parfois d’avoir des idées pour un vrai tube pop et je ne les rejette pas. Ça reste dans un coin, en attendant. De toute façon, je ne contrôle pas le destin de mes chansons, où elles finissent. Je n’aurais jamais cru que Song 2 de Blur aurait un tel destin, servirait pour des publicités ou des jingles dans les stades de foot. Elle ne m’appartient plus. Sauf quand on veut l’utiliser pour vendre une marque douteuse, des marchands de mort ou des pollueurs notoires…
Tu as composé une chanson sur un cormoran, c’est rare.
Je le voyais tous les jours sur ma plage, dans le Devon. J’y passais mes journées, en contemplation. J’y nage chaque matin, sans combinaison, même en hiver, c’est devenu une addiction. J’adore les brûlures de l’eau glacée, ce mélange de chaleur et de froid. C’est pour ça que j’aime l’Islande, pour ses volcans et ses glaciers, ses contrastes vertigineux, la férocité du climat.
J’ai appris récemment que mon puits, devant la maison du Devon, était alimenté par une nappe phréatique qui vient de Bretagne. Je bois donc de l’eau bretonne. Un joli pied de nez au Brexit, cet incroyable mensonge. Comment a-t-on réussi à faire voter le prolétariat du Nord pour les conservateurs les plus extrêmes, alors qu’ils en sont depuis toujours les premières victimes ? Ce vote et ses relents xénophobes m’ont rendu malade. J’ai honte de mon pays devant mes amis européens.
D’où vient le titre de l’album, The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows ?
D’un poème de John Clare [intitulé “Love and Memory”], écrit au XIXe siècle. C’est une phrase qui m’obsède depuis des années. Ma mère m’avait offert un de ses recueils quand j’étais adolescent. Le poème en question traite de la mémoire, de la joie et la tristesse qu’elle procure. Cette fontaine en question, c’est pour moi la cascade magique de Barnafoss en Islande, un lieu à la fois enchanté et maudit… Des enfants y auraient disparu… Je viens pourtant souvent y méditer.
Une partie de la littérature islandaise est obsédée par la notion de disparition.
Ils n’ont pas d’autre choix que de vivre avec cette hostilité de la nature. On peut marcher dans les landes et passer à travers une fine pellicule de roche, qui dissimule une crevasse dans laquelle on ne vous retrouvera jamais. On fait avec cette peur, en Islande. Une autre influence très nette de l’album était Talk Talk. Petit à petit, leur leader, Mark Hollis, a disparu de la scène mais aussi de sa propre musique. C’est peut-être ça, mon avenir : disparaître, aller vers le silence.
The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows (Transgressive/PIAS). Sortie le 12 novembre.
En concert le 5 novembre à Paris (Gaîté Lyrique, Arte Concert Festival).
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