En mettant à nu les rouages de leurs mécaniques chaotiques, “Inside No. 9” et “The Goes Wrong Show” semblent vibrer sur des fréquences communes.
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Quelque chose coince à la télévision anglaise, pour notre plus grand plaisir. Ça commence sur des notes familières : un rendez-vous à huis clos niché dans la programmation de la BBC, et une troupe de théâtre qui s’installe pour une représentation filmée. Tout est sous contrôle, et tout va déraper.
Créée par Steve Pemberton et Reece Shearsmith, Inside No. 9 est une anthologie dont chaque histoire se déroule dans un lieu marqué par le chiffre 9. Laboratoires d’expérimentation dramatique, ses épisodes croisent les genres et les registres pour dérouler une narration tout en fausses pistes, où l’art du twist règne en maître.
Concoctée par la troupe du Mischief Theatre, The Goes Wrong Show capte en public les déboires de ses acteur·trices calamiteux·euses dont le cabotinage, les trous de mémoire et la désynchronisation sont amplifiés par une machinerie chaotique : d’un décor mal conçu à des accessoires récalcitrants en passant par des effets spéciaux arythmiques et des cascades mal sécurisées, le combat semble perdu d’avance.
L’art du dérapage
Si Inside No. 9 barbote dans les eaux de la comédie noire en engluant ses personnages dans des pièges cruels alors que The Goes Wrong Show oppose à l’effondrement du cadre le volontarisme candide de ses interprètes, les deux séries ont en commun un art du dérapage conçu comme une recherche de la virtuosité, à infusion lente pour la première et en feu d’artifice pour la seconde.
Dans les deux cas, la déconstruction des genres investis – filature policière, drame social à la Ken Loach ou film de casse à la Guy Ritchie côté Inside No. 9, conte de Noël ou ersatz de Downton Abbey passés à la moulinette dans The Goes Wrong Show – se double d’une mise à nu des rouages de leur fabrication, narrative pour la première et scénique dans la seconde.
Tout se passe comme prévu pour qu’absolument rien ne se passe comme c’était attendu.
Ce retournement ludique du tissu fictionnel qui fera perdre pied aux personnages n’est rendu possible que par l’extrême maîtrise du système mis en place : une vision rétrospective permettant d’apprécier l’inéluctabilité des twists fomentés par Pemberton et Shearsmith, quand le burlesque-catastrophe de la bande du Mischief repose sur une mécanique d’une précision redoutable. Tout se passe comme prévu pour qu’absolument rien ne se passe comme c’était attendu.
Leurs dernières saisons en date creusent ce sillon tout en disséminant des propositions qui pourraient éclairer l’ambition secrète des deux œuvres. Quand Inside No. 9 met en scène un duel psychologique entre deux magiciens scellé par des techniques de détournement de l’attention, elle cristallise son principe narratif : l’utilisation de l’artifice pour dissimuler un secret, mais aussi pour nourrir les meilleures histoires.
Et quand la troupe de The Goes Wrong Show s’offre une virée en terres shakespeariennes, c’est autant pour se confronter aux racines des codes qu’elle détourne que pour laisser affleurer, derrière son idiotie millimétrée, les affects qui circulent au sein de la troupe. En équilibre virtuose au bord du précipice, ces deux séries trouvent leur ancrage dans une humanité inquiète qui se raconte des histoires pour faire face au chaos du monde.
Inside No. 9 saisons 5 et 6 de Steve Pemberton et Reece Shearsmith. Sur arte.tv en novembre.
The Goes Wrong Show saison 1 de et avec la troupe du Mischief Theatre. Sur Amazon Prime Video.
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