L’implacable satire du puissant clan Roy revient pour une saison 3, entre complaisances et coups d’éclat majestueux.
Le retour de la famille Roy après deux ans d’absence et pas mal de retards covidés tombe à pic pour enflammer l’automne. Alors que Game of Thrones incarne désormais le souvenir lointain d’un temps où la télé faisait événement de manière globale – même si un prequel, House of the Dragon, arrive en 2022 –, HBO a trouvé le moyen de capter à nouveau l’attention, dans des proportions moindres, avec ce soap haute couture déguisé en satire féroce. À moins que ce ne soit le contraire.
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Capitalisme et patriarcat
Pour les endormi·es du fond de la classe, rappelons que ce récit brutal, drôle et néanmoins glauque, raconte les aventures d’un clan de richissimes capitalistes écossais·es et américain·es à la tête d’un empire médiatique et financier, sous la coupe d’un patriarche inspiré par Rupert Murdoch. Celui-ci laisse à ses enfants les miettes d’un pouvoir toujours vorace, même quand l’âge reprend ses droits – l’épisode inaugural de la série montrait le clan célébrant les 80 ans du boss.
Dans ce décor post-Shakespeare, Succession pose depuis ses débuts les mêmes questions simples et directes : quand Logan Roy (Brian Cox) va-t-il mourir, et qui pour le remplacer ? La troisième saison se donne pour mission de faire de cette petite musique une ritournelle toujours plus entropique, constamment au bord de l’explosion. Filmer une Cocotte-Minute, éteindre le feu, puis le rallumer : tel est le système Succession, puissamment sériel.
À la fin de la saison 2, le fils méprisé, Kendall (Jeremy Strong), lâchait son père en le dénigrant en direct à une heure de grande écoute. Il s’agit de voir ce que ce coup d’éclat a provoqué dans le clan, où les déchirements entre Kendall, Roman (Kieran Culkin) et Shiv (Sarah Snook), deux frères et une sœur, se déploient à cœur ouvert.
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Chaos luxueux
Dans les premiers épisodes – nous avons pu en voir sept sur les neuf que compte la saison –, l’avenir de la société est en jeu, alors que les actionnaires s’inquiètent de l’instabilité au sommet de l’entreprise. En parallèle, la menace d’une enquête sur certaines pratiques abusives se précise.
Il y a quelque chose d’assez fort dans la manière dont Jesse Armstrong (le showrunner anglais) et son équipe décrivent avec une précision confinant au burlesque les gestes et paroles du libéralisme contemporain le plus effréné, celui qui rentre dans les têtes et plie les âmes en deux.
On ignore souvent ce qui du système ou des individus façonne le cœur du drame.
Les personnages semblent chercher de l’oxygène, enserrés dans des bureaux aux fauteuils trop chers et aux baies vitrées trop propres. On ignore souvent dans Succession ce qui du système ou des individus façonne le cœur du drame, quelle toxicité – celle de la famille patriarcale ou celle de l’argent-roi – provoque ce chaos luxueux.
C’est aussi la limite de la série que de parfois se contenter de cette confusion. Il lui arrive de ressembler à un rigolard concours de vannes, jeu auquel Roman-la-vipère semble toujours gagnant. Mais surtout, de manière quelque peu complaisante, Succession s’échine à regarder ce petit monde structuré par l’impunité d’un œil flasque.
Tour à tour fasciné·es et agacé·es
Ces gens sont difficiles à aimer, et cela n’est pas toujours une bonne nouvelle. Filmer des personnages vaniteux et méchants n’oblige pas à mimer cette vanité et cette méchanceté. Cet été, The White Lotus en a donné la preuve, scrutant ses riches vacancier·ières américain·es exilé·es à Hawaï en les mettant en miroir avec celles et ceux dont il·elles profitent.
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Ainsi va la vie de spectateurs et spectatrices de Succession, tour à tour fasciné·es et agacé·es, au point que l’on peut se demander si le monde n’est pas assez triste comme cela pour en rajouter. Alors, faut-il mettre la série au bûcher, ou tout au moins, la faire redescendre de son piédestal ? Difficile de tenir cette ligne jusqu’au bout.
Le splendide épisode 7, centré autour d’une soirée new-yorkaise, montre avec éclat que la saga garde toujours des ressources et une énergie hors du commun. La tragi-comédie à l’œuvre prend alors toute son ampleur, faisant de la famille Roy une sorte d’excroissance collective du Patrick Bateman d’American Psycho, influence trumpiste comprise. Dans ces moments-là, tout ou presque est oublié, et l’époque vomit sa bile noire devant nous.
Succession saison 3 de Jesse Armstrong, avec Brian Cox, Jeremy Strong, Kieran Culkin, Sarah Snook. Sur OCS, tous les lundis depuis le 18 octobre.
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