Revenant sur les questions posées par Kamel Daoud dans “Meursault, contre-enquête”, Nicolas Stemann ouvre le débat sur “L’Étranger” de Camus au Théâtre Vidy-Lausanne.
À la manière d’un chauffeur de salle, l’acteur Mounir Margoum demande à celles et ceux qui ont lu L’Étranger d’Albert Camus de lever la main. Les spectateur·trices s’exécutent dans une quasi unanimité. Ce raz-de-marée autorise l’acteur à revenir d’emblée sur un détail du roman, qui tue autant que les balles d’un révolver, si l’on se souvient que “l’Arabe“ assassiné par Meursault n’a pas de nom. Ce non-dit, chaque lecteur·trice l’a accepté chez Albert Camus, sans en être choqué·e… Kamel Daoud le dénonce dans son roman Meursault, contre-enquête dont Nicolas Stemann s’empare pour en faire le sujet de sa réflexion.
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Ironie mordante
Pour ce spectacle titré Contre-enquêtes, la scénographie du metteur en scène allemand place la soirée sous le double signe d’un deuil à faire et d’un débat à mener. Côté chantier de paroles, on trouve un grand escabeau, quelques parpaings et un micro sur pied. Pour évoquer le contexte mémoriel, un cercueil de bois est placé en regard d’une chaise vide et d’une table de bistrot où traînent des revues d’époque.
Après la lecture d’un courrier véhément dans lequel Catherine Camus, ayant-droit et fille d’Albert, interdit toute référence à l’œuvre de son père, Il devient difficile de donner place à la défense du prix Nobel de littérature pour équilibrer la plaidoirie à charge de l’auteur algérien… Qu’importe, le texte de Kamel Daoud est un vrai champ de mines, Nicolas Stemann enclenche les hostilités avec humour en s’armant d’une ironie mordante qui n’épargne personne.
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Plaisir de débattre
La pièce réunit deux acteurs. Mounir Margoum endosse le rôle de Haroun, le frère de “l’Arabe“ assassiné qui réclame justice, jusqu’au moment où Thierry Raynaud affirme en avoir le droit au même titre que lui. Qui est légitime pour incarner ce frère ? L’un, Mounir Margoum, est d’origine marocaine, né à Clermont-Ferrand, l’autre est l’enfant d’une famille de pieds-noirs rapatriés ayant vécu durant quatre générations en Algérie… On se doute que la bien-pensance laisse vite la place à une recherche de la vérité qui s’affranchit des idées reçues pour questionner le colonialisme et les plaies de l’Histoire.
Aussi cruelle que bouleversante, cette double mise en chair du personnage de fiction inventé par Kamel Daoud passionne. En signant une création où il allume toutes les mèches pour mettre le feu aux poudres, Nicolas Stemann redonne vigueur à un plaisir de débattre qui n’exclut aucune piste.
Contre-enquêtes, d’après le roman Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud, mise en scène et scénographie Nicolas Stemann. Avec Mounir Margoum et Thierry Raynaud. Jusqu’au 15 octobre, Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse).
Du 2 au 12 février 2022, Théâtre de la Ville, Paris. Les 20 et 21 avril, Théâtre Municipal de Bastia / Centre Culturel Alb’Oru, Bastia. Du 26 au 28 avril, La Criée, Marseille.
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