Pour le printemps-été 2022, il faudra prendre le temps de porter son pantalon taille basse, d’oser la robe transparente et de se recouvrir de paillettes pour militer à la lueur du sunset californien.
La semaine des défilés parisiens estivaux 2022 vient de toucher à sa fin, et laisse entrevoir un monde cherchant ardemment à se réinventer, se réjouir, se libérer dans un contexte post-covid et post-MeToo. Hédoniste mais conscient, sexué mais d’autant plus émancipé, on découvrait un imaginaire stylistique dans lequel chaque rituel du quotidien est une marque de réflexion et une fuite en avant.
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Meta-Ibiza: les années 70 et 90
Entre vibe Sea Sex and Sun hédoniste et esthétique néo hippie du Summer of Love, les créatrice·eurs se détournent vers de longues robes à franges 70’s chez Chloé, des ensembles denim tie and dye chez Sandro ou des larges ponchos à pompons pour Zadig & Voltaire. L’impression sunset s’imprime sur des pardessus chez Isabel Marant, et se devine dans les robes à franges orangées de Victoria/Tomas. En 2022, la nostalgie de teuf estivale mythifiée prend une tournure politique. Les designers convoquent l’image du militantisme pacifiste de l’été 1967 en augmentant leurs silhouettes de discours concernant l’urgence écologique : la collection aux imprimés fleuris upcyclés de Stella McCartney (au cuir créé à partir de champignons) ancre le discours militant de la créatrice dans l’action, tandis que la préservation des océans est au cœur des défilés Botter et Nina Ricci orchestrés par Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter. Entre coucher de soleil et élévation des consciences, à l’aube des élections présidentielles, l’expérience esthétique et festive réactive une mémoire hédoniste, préparant aux luttes du printemps 2022.
Enfiler un vêtement transparent
Montrer le corps permet-il de mieux l’habiter et de l’habiller, d’en intégrer les multiplicités ? La créatrice Di Pesta s’empare de cette réflexion à travers une performance présentant ses “Wet-dresses”- soit des robes d’eaux, portées par un casting aux corps pluriels. Depuis 2017, la designer réactualise la question taboue et féministe du flux corporel dans ses robes liquéfiantes. Si la mode transpire de corps marginalisés, elle renoue avec la chair et la complexité de ses variations, homogénéisée par la tendance, ou censurée par Instagram. Ainsi, Ester Manas, décline des robes voilages entre couleur sorbet et kaki sur un casting de mannequins invitant à une visibilité inédite – premier pas vers de nouveaux rêves interprétés par de nouveaux visages tels que ceux de la jeune mannequin @mes_rara , @anna_schlaifer ou la militante @Habibitch. Au fil des collections, vêtements de nuit comme de jour sont translucides : les longs peignoirs transparents invitent à deviner les silhouettes chez Coperni tandis que les t-shirts en mailles rebrodées de glitter dévoilent la poitrine chez Saint-Laurent et les longues jupes noires ceinturées d’un camélia révèlent la cambrure des fesses chez Chanel. Montrer et cacher, exposer et dissimuler : telle est également l’ambivalence des robes bodycon envahissant les podiums de Ludovic de Saint Sernin ou Balmain. Voilà que le corps reprend chair, mettant fin à une période de tenue visant à gommer une silhouette transformée par les mois de confinement.
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La haute couture instagramable
Jupes boules chez Givenchy, robe volume “Kouglof” chez Victor Weinsanto et robe fourreau accessoirisée de gants de première dame chez Rokh : les déclinaisons coutures envahissent la saison. Loin d’un passé stratifié, les volumes coutures s’accordent aux nouveaux usages vestimentaires de 2022 : “Après 2020 et 2021, les gens ont envie de s’habiller pour sortir, mais avec moins de contraintes. La couture ne doit plus figer le corps féminin” lance Lutz Huelle qui réhabilite les volumes couture à travers des t-shirts fuchsia ou dorés articulé avec des jeans ou pantalons cargo. Les silhouettes écho au chic 1945, signalant en France l’âge d’or de la couture, sont actualisées dans des coupes plus confortables ou des tissus hommage aux mondes internet comme la collection “Argo archive” d’Alphonse Maitrepierre, ou les larges bijoux brillants inspirés d’emojis imaginés par Hugo Kreit.
Le vêtement couture devient un prétexte de visibilité instagrammable et de détournement ludique : Balenciaga ouvre son défilé avec une gargantuesque robe noir, les jupes cerceau de Louis Vuitton invoquent une théâtralité tandis que Chanel réhabilite les scénographies de la haute couture des années 90, avec ses podiums surélevés et ses mannequins embijoutés. La couture est un moment #wow – scénario parfait pour IgTV, et la théâtralité IRL des plus instagrammable !
Ultrataille basse
S’il n’existe plus d’images de la collection “Taxi Driver” présentée en 1993 par Alexander McQueen, une pièce marqua les esprits : le bumster – soit un pantalon ultra taille basse inaugurant l’ère porno chic des années 1990 qui contrebalance l’imagerie d’une sexualité angoissante alors que le VIH fait rage. Le taille basse s’impose et devient désirable grâce à la pop culture et la culture visuelle MTV : il se mêle au streetwear dans les clips de TLC, se fait l’élément d’une néololita sexualisée avec Britney Spears ou Shakira. S’il se décline au gré des styles musicaux, en 2022, c’est via la culture visuelle de Tik tok et ses challenges chorégraphiques qu’il revient. Alimentant un anti-vestiaire républicain, puisque dévoilant les hanches et la naissance des fesses, il se décline en version jean baggy chez Balenciaga ou pantalon de costume chez Miu Miu. Il se porte en version cargo chez Balmain, déconstruit et fluo chez Ottolinger ou encore dans un dérivé plus mainstream – noir et évasé, chez Courrèges.
Le taille basse se conjugue à de multiples revivals, rappelant que déjà en 2000 les styles coexistent, et que la culture visuelle de la musique – de la pop au rap, reste un puissant vecteur de tendance. Pendant le Covid 19, c’est dans l’esthétique dansante de Tik Tok et ses millennials que le champ visuel de demain se dessine.
Se créer des protubérances
Si la mode est souvent accusée d’être un lieu imposant des normes de beauté, c’est également un espace narratif permettant de décloisonner les imaginaires. C’est en tout cas la voie empruntée par la collection de Jonathan Anderson pour Loewe. Invoquant des lignes surréalistes, il redessine les corps post-pandémie de lignes anguleuses : corset marquant le torse, haut doté d’une bulle transparente laissant apparaître des jeux de protubérance rendant le corps artificiel, hors des récits usuels sur la beauté et la sexualité occidentale.
Déjà dans les années 1980, la créatrice Rei Kawakubo propose un corps expérimental, et s’exprime par la voie du grotesque en dotant ses mannequins de rembourrage sur le dos ou les jambes plutôt que les seins afin de critiquer le modèle monolithique de beauté sexualisé de l’époque.
Chez Louis Vuitton ce sont les robes cerceau, bribes des canons de beauté des cours royales du XVII qui s’articulent à des vestes et chemises contemporaines formant des silhouettes mêlant des temporalités différentes, et ainsi des récits parfois antagonistes du corps pour créer de nouveaux imaginaires. Pour Schiaparelli, Daniel Roseberry transforme les poitrines en bouton de rose – se jouant du cliché de la femme fleur – ici hypersexualisée. En proposant des silhouettes inhabituelles, les créateurs attaquent les injonctions corporelles pesant sur les corps féminins et déconstruisent les suspicions de male gaze.
Briller de mille feux
Total look argenté chez Courrèges réifiant l’héritage space age de la maison, ou intégral argenté chez Lanvin, ou encore mini-robe dorée chez Valentino : entre humain et céleste, les corps délaissent leurs peaux mortelles pour des devenirs stellaires éternels. À l’heure de la célébrité pour tous, les corps se transforment en paillettes et font écran aux appareils photos tout en absorbant leur lumière. Chez Marine Serre, les ensembles argentés racontent le monde post-apocalyptique, tandis que cet or blanc se porte sur les bords de plage chez Zadig & Voltaire, et que le body seconde peau en matière brillante invoque le glamour parisien chez Saint-Laurent. Ces paillettes ne racontent plus des univers fictionnels intouchables, mais des espaces intimistes. Comme celles qui recouvrent les sourcils et les bouches des ambassadrices du défilé l’Oréal Paris, les paupières des filles Kenneth Ize et la peau chez Blumarine. Cette brillance éblouit comme elle attire, et permet de renouer avec le fantastique, l’inconnu et de devenir maître de sa visibilité.
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Prendre de la hauteur en plate-forme sans genre
Tongs compensées chez Coperni ou Chloé, Crocs New Rock x Balenciaga, bottines futuristes flottant sur un talon compensé nuage chez Shang Xia : les jambes s’allongent et les volumes des silhouettes orientent le regard vers le bas de la jambe. Les chaussures platesformes modifient les postures et marquent une nouvelle démarche.
Elles agrémentent différents looks, comme la version sandale en bois épais des lolitas 2000 d’ACNE Studio, ou les cuissardes métalliques des créatures heavy metal de Rick Owens.
Plus accessible que les stilettos à talons, la chaussure compensée s’est hissée dans la culture populaire via le glam rock – Bowie ou les New York Dolls. Aujourd’hui elle est le fétiche de créateurs comme Marc Jacobs qui les arbore sur Instagram et signe une collection avec Nodaleto décrite comme genderfluid et polysexuelle. Rappelant Leigh Bowery ou Lady Gaga, la plateforme 2022 est post-binaire et plus transculturelle que jamais
Jupes et nouvelles révolutions
Au tournant des années 1960, la mini-jupe symbolise la révolution sexuelle. Si les créateurs se disputent son invention, la minijupe est un mythe occidental ayant subit de nombreuses relectures dans l’histoire de la mode Cette saison, sa version trapèze originelle se décline en couleur pop chez Dior où Maria Grazia Chiuri explore l’histoire féministe. Sa version futuriste est réhabilitée chez Courrèges, mais elle s’adapte à la construction d’un futur plus éthique dans un version en maille up-cyclé chez Kevin Germanier.
Chez Miu Miu elle est ultra-mini ; fabriquée à partir de pantalons raccourcis invoquant les tenues de scène 2000 hypersexualisées de Christina Aguilera. Pour The Situationist ou Raf Simons, elle s’accorde à de larges blazers et chemises dans un style minimaliste où la question du genre ne se pose plus. Un vestiaire défini par son style plutôt que par une identité sexuée figée : est-ce là, la nouvelle révolution de la mode ?
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