Entre l’affaire PPDA et l’opposition Alexandre Jardin/Pierre Assouline autour de la figure de Jean Jardin, cette rentrée pose la question du biographe.
Le plus étonnant, c’est qu’on s’étonne de l’affaire du pompage de PPDA. Franchement, qui publie ou lit un de ses livres pour son sérieux ? On sait bien qu’il s’agit d’imprimer le nom d’un people « vu à la télé » pour faire vendre, et qu’inversement ça a valeur de caution pour PPDA pour qui ces noms sont comme autant d’adjectifs qui le définissent. Il est… Lawrence d’Arabie ! Il est… Jules Verne ! Et aujourd’hui, il aurait dû être… Hemingway ! Bref, Patrick n’est pas… biographe.
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Mais s’il a subi les quolibets de la presse, c’est étrangement à Alexandre Jardin, qui a eu l’audace de fouiller la bio de son grandpère, le collabo Jean Jardin, osant aller sur le terrain des biographes, qu’est réservée la volée de bois vert médiatique.
Si son livre, Des gens très bien, est trop souvent irritant de bêtise, ce qui irrite encore davantage est l’extraordinaire levée de boucliers qu’il aura suscitée. Son grand-père, Jean Jardin, fut directeur du cabinet de Pierre Laval (à Vichy, donc, pas à Tahiti…) du printemps 1942 à l’automne 1943, et Alexandre Jardin finit par le soupçonner d’avoir été soit pour quelque chose dans la rafle du Vél d’Hiv les 16 et 17 juillet 42, soit en tout cas d’avoir eu toute conscience de la mort certaine qui attendait les Juifs déportés, sans pour autant s’y opposer.
Or, une partie de la presse s’est dépêchée de s’armer d’une brochettes d’historiens pour flinguer et Jardin, et sa thèse, comme s’il n’était pas légitime de s’interroger, voire de douter fortement de l’innocence d’un homme qui se trouvait quand même, et certainement pas par hasard, à la tête du cabinet de Laval sous Vichy, qui n’a pas démissionné après la rafle, et qui de plus a conservé jusqu’à sa mort en 1976 les portraits de Pétain et de Laval sur son bureau tout en tenant des propos antisémites (d’après Jardin).
Le Figaro magazine est même allé jusqu’à publier sur plusieurs pages la réponse outrée de Gabriel Jardin, frère de Pascal, à son neveu, faisant de Jean un… quasi-résistant. Un « gentil collabo », ça existe ? Mais là où ça coince vraiment, c’est quand nombre brandissent contre Des gens très bien la biographie que Pierre Assouline a consacrée à Jean Jardin en 1986, Une éminence grise – Assouline qui, lui-même, a descendu le romancier dans son blog, dans un texte intitulé « Alexandre Jardin ou Tintin au pays des collabos ».
Il est vrai que le dialogue qu’auraient eu les deux hommes autour de cette bio, restitué par Jardin dans Des gens très bien, pose problème pour Assouline :
« Dans ton Eminence grise, pourquoi n’as-tu pas écrit de chapitre sur le 16 juillet 1942 ? », demande Alexandre Jardin ; Pierre Assouline lui répond : « Parce que j’écris mes biographies en me mettant à la place de mes personnages, en signalant les choses déplaisantes qu’il m’arrive parfois de trouver. Or pour Jean Jardin, la rafle du Vél d’Hiv n’a pas été un événement important. Il ne l’a certainement pas notée dans son agenda. Consacrer un chapitre à quelque chose de secondaire à ses yeux eût été un anachronisme. » Ah bon.
A propos d’Une éminence grise, l’historien Philippe Burrin, spécialiste de l’Occupation, avait écrit : « Ainsi la période vichyssoise laisse-t-elle quelque peu insatisfait. L’influence de Jardin sur Laval fut-elle plus qu’épisodique et subsidiaire ? Il est permis d’en douter. Au surplus, à travers les mobiles et les états d’âme que l’auteur attribue à son personnage, sur la base d’une reconstitution apparemment plus empathique que documentaire, c’est une image bien connue de Vichy bouclier qui refait surface, même si les aspects les plus noirs du régime sont signalés. »
Peut-être que ce dont Jean Jardin a le plus besoin, c’est d’un biographe qui lui accorderait plus de deux ans de son précieux temps.
Nelly Kaprièlian
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