Anthropologue de l’ordinaire et écrivain du décalage, Eric Chauvier s’essaie avec brio à la mise en fiction de l’épidémie avec “Plexiglas mon amour” aux éditions Allia.
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“Le moral d’Éric n’est pas au beau fixe. Sa femme, proie d’angoisses, lui impose une quatorzaine drastique. Lorsqu’il rencontre par hasard Kevin, ami de jeunesse perdu de vue, c’est l’occasion rêvée pour s’échapper de cette dictature sanitaire domestique.” Dans son dernier texte Plexiglas mon amour, Éric Chauvier se frotte au survivalisme. Rencontre avec un auteur qui a de l’humour, cette politesse du désespoir
Au-delà du contexte sanitaire, de quelles (im)pulsions est né Plexiglas, mon amour ?
D’une intuition. Elle est née dans la période de confinement, de ma rencontre avec Kevin, cet ancien ami devenu survivaliste. Par une autodiscipline aberrante, il s’efforçait de ne pas exprimer ses émotions, synonymes selon lui de vulnérabilité. Son langage était strictement référé à des tâches fonctionnelles : stocker, chasser, piéger, se défendre, annoncer et attendre la fin du monde… Ajouté aux éléments de langage du gouvernement en matière de gestion de crise sanitaire et la dématérialisation progressive de nos vies par les GAFA, je me suis dit : “n’en jetez plus, c’est mort, c’est la fin du langage !” La fin du langage et, par là, la fin possible de ce qui définit notre humanité, c’est le sujet de Plexiglas mon amour.
L’épidémie est un motif courant dans la fiction. Par quoi passe la réinvention littéraire de cette thématique ?
Les dystopies littéraires passées sont devenues les composantes de notre actualité : société de contrôle, aliénation généralisée aux techniques de dématérialisation de la vie, écarts phénoménaux entre pays riches et pays pauvres dans les accès aux soins, impression permanente d’évoluer derrière un check-point… Le tour de force littéraire consiste alors à transformer en récit réaliste et crédible ce qui était il n’y a pas si longtemps de la science-fiction préventive. La réalité dépasse la fiction… et l’affliction. Regarder des films d’horreur pour conjurer nos peurs ne sert plus à rien. J’essaie d’écrire à partir de ce constat inédit et vaguement terrifiant.
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Plexiglas mon amour est un livre très drôle. Pourquoi l’humour dans un roman apocalyptique ?
D’abord, un lecteur de plus qui rit, c’est un lecteur de plus qui ne virera pas survivaliste, parce qu’il pourra encore rire sans se sentir vulnérable. C’était mon objectif en cassant des codes utilisés par la SF d’anticipation, qui est presque toujours grave et solennelle. Je pensais beaucoup à La Route de Cormac McCarthy, qui est un très grand livre, mais c’est aussi la bible de Kevin et de pas mal de survivalistes. Et puis l’humour, ce n’est pas nouveau, permet de délester la gravité des situations, même si l’ironie que j’emploie est une façon d’explorer la vie ordinaire. Je ne cherche pas à ridiculiser mes protagonistes, mais à pointer leurs ambivalences et leurs ambiguïtés pour retrouver leur humanité.
Quel(s) rôle(s) pour la littérature en temps de crise ?
Les crises, qu’elles soient sanitaires, politiques, écologiques sont toujours celles d’un système économique à l’agonie, mais dont les dirigeants de ce monde voudraient nous faire croire qu’il peut encore changer positivement nos vies. Partant de là, je veux m’engager dans mes textes, contre ces forces nuisibles qui composent ce système et détruisent la vie. La littérature ne peut pas simplement accompagner le processus à l’œuvre dans cette époque, en divertissant par exemple, ou en confirmant, d’une façon ou d’une autre, le deal qui nous est proposé de vivre ensemble en consommateurs obéissants. Elle doit au contraire troubler, perturber nos représentations et tenter de sublimer cette situation pour nous poser poétiquement face à la possibilité de l’abîme. Alors ce qui est important nous apparaîtra de façon claire.
Plexiglas mon amour (Allia), 160 pages, 10 €
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