Rencontre à Paris avec le dandy ultime du cinéma anglais Michael Caine, à l’affiche dans « Harry Brown ».
Les meilleurs acteurs du monde sont anglais. Star postmoderne, dandy, mariole ou froide machine de guerre, Michael Caine a incarné d’inoubliables figures ironiques, cyniques, violentes ou désabusées dans une multitude de films de genre, parfois sous la houlette de grands cinéastes.
Contemporain de la perte d’innocence du cinéma propre aux iconoclastes années 60, il a brillamment remis en cause les notions d’héroïsme et d’identification en instaurant une distanciation ironique entre l’action, ses personnages et les spectateurs. Classe, charmeur, débordant d’humour, sir Michael Caine, anobli en 2000, est pour toujours une icône du cool.
Dans son nouveau film Harry Brown, polar social de Daniel Barber, il interprète un retraité confronté à un gang de dealers dans une banlieue sinistre – l’occasion d’abandonner son traditionnel flegme pour camper un antihéros pathétique.
« C’est une pure coïncidence, mais je suis né et j’ai grandi dans le quartier populaire où a été tourné Harry Brown, The Elephant and Castle, dans l’East End de Londres. J’ai pu constater la dégradation tragique des conditions de vie de ses habitants. Les HLM que l’on voit dans le film ont été rasées après le tournage. Je ne considère pas Harry Brown comme un justicier, mais comme une victime. Il tue en état de légitime défense, pour sauver sa peau et aussi pour pouvoir mener une vie normale. »
Né Maurice Joseph Mickelwhite en 1933, Michael Caine choisit son nom de scène en hommage à son idole Humphrey Bogart (Ouragan sur le Caine) et accède à la célébrité de façon paradoxale : le petit prolo à l’accent cockney hérite du rôle d’un officier hautain dans la fresque historique Zoulou, en 1964.
« Il y a un système de classes qui est très puissant en Grande-Bretagne. Si le réalisateur de Zoulou avait été anglais, je n’aurais jamais eu le rôle, car il était impensable de faire jouer un aristocrate par un acteur prolétaire. J’étais grand, mince, avec de longs cheveux blonds, et je ne correspondais pas à l’image que se faisait l’Américain Cy Endfield d’un acteur cockney. C’est la raison pour laquelle il m’a offert le rôle. Quand les producteurs ont vu les premiers rushes, ils ont envoyé un télégramme : « Virez Caine, il ne sait pas quoi faire de ses mains ». J’avais observé que les nobles se promenaient les bras dans le dos, toujours impassibles. Les producteurs ne comprenaient pas ma façon de jouer le personnage. »
Les deux films suivants assurent à Michael Caine une gloire définitive. L’anti-James Bond Harry Palmer, dans Icpress, danger immédiat (1965), est une pure figure pop, sans affects ni psychologie.
« J’ai inventé le patronyme d’Harry Palmer, qui n’était jamais nommé dans le roman de Leigh Deighton. Il fallait trouver un nom ennuyeux et banal pour le personnage, car c’est un homme anonyme, froid, sans qualités. Palmer est un espion crédible, puisque personne ne faisait attention à lui. Une fois de plus, les responsables du studio étaient furieux en regardant les rushes, parce que je portais des lunettes et faisais la cuisine pour ma maîtresse. Ils trouvaient que je ressemblais à un homosexuel ! »
Dans Alfie le dragueur (1966), il installe à la perfection son personnage de gouape séductrice.
« Mes personnages cachent leurs sentiments. Je suis fasciné par les rôles ambigus, et même négatifs. J’ai interprété Jack Carter dans La Loi du milieu de Mike Hodges en m’inspirant d’un véritable gangster que j’avais connu. Quand il a vu le film, il a trouvé Carter horrible et immoral. Je n’ai pas osé le contredire, car il avait assassiné au moins cinq personnes. Carter était un personnage stylisé, dans un contexte sociale réaliste. »
Michael Caine a joué dans plus de cent cinquante films et téléfilms. Dans les années 80, il enchaîne Hannah et ses soeurs de Woody Allen (pour lequel il remporte son premier oscar) et Les Dents de la mer 4, Jack l’Eventreur pour la BBC et Le plus escroc des deux, un de ses films préférés, où il est hilarant aux côtés de Steve Martin. Caine assume ce stakhanovisme.
« Je n’ai connu le succès qu’à 30 ans. Avant, j’étais fauché. J’acceptais tous les films qu’on me proposait, en pensant que cela pouvait bien être le dernier. Je viens d’un milieu très modeste et j’avais envie de gagner de l’argent. »
Son premier film américain est Que vienne la nuit d’Otto Preminger, où il interprète un propriétaire sudiste. « Mon accent était meilleur que le film », souligne-t-il.
« Quand je me suis installé en Amérique dans les années 70, le producteur Irwin Allen est venu me voir pour me proposer un contrat. Il venait de produire les deux plus grands films catastrophe de l’époque, L’Aventure du Poséidon et La Tour infernale, avec des stars comme Paul Newman et Steve McQueen. J’ai dit oui sans même lire le script… et je me suis retrouvé dans L’Inévitable Catastrophe, sur une invasion d’abeilles, le pire film de toute ma carrière. J’ai appris très vite que si vous devez jouer dans un film avec des effets spéciaux, ils ont intérêt à être très bons. »
Michael Caine a pourtant décliné l’offre d’au moins un cinéaste, et pas n’importe lequel. « J’ai refusé de jouer dans Frenzy d’Alfred Hitchcock. Il m’avait proposé le rôle de Robert Rusk, un sadique qui violait et étranglait des femmes. A l’époque, il y avait un tueur en série qui sévissait en Angleterre, et il me ressemblait physiquement ! Je ne suis pas sûr que j’aurais été crédible dans un rôle aussi vicieux. J’adorais Hitchcock mais j’aurais aimé jouer le rôle de Cary Grant ! Hitchcock ne m’a plus jamais adressé la parole. Finalement, Barry Foster m’a remplacé, et il est terrifiant dans Frenzy. »
Caine aura moins de scrupules à jouer un psychiatre se déguisant en femme pour assassiner une de ses patientes dans Pulsions de Brian De Palma.
Un des chefs-d’oeuvre de Michael Caine est Le Limier de Joseph L. Mankiewicz, où il affronte une légende vivante de la scène et de l’écran.
« Laurence Olivier dirigeait à l’époque le National Theater. Il était un peu cabot et disait tout le temps à Joe : « Michael n’a pas besoin de dire cela, je peux le faire moi-même ». « Ne vous inquiétez pas Larry, je le couperai au montage », lui répondait Mankiewicz. Après avoir tourné une scène importante, Laurence Olivier m’a dit : « Je croyais avoir un assistant, j’ai découvert que j’avais un partenaire. » C’est le plus beau compliment qu’on m’ait jamais fait. »
Mais sa plus belle rencontre cinématographique demeure John Huston.
« J’étais en lune de miel à Paris quand j’ai reçu un coup de fil dans ma chambre du George V. C’était John Huston, mon cinéaste préféré. Il me parle du vieux projet de L’homme qui voulut être roi, une adaptation de Kipling qu’il souhaitait initialement tourner avec Bogart et Gable. Ils étaient morts, et il voulait le faire avec Sean Connery et moi. Bogart était mon acteur préféré et j’allais interpréter un rôle écrit pour lui. Je dis à John : « Fantastique, quand pouvons-nous nous voir ? » Il me répond : « Maintenant. Je suis au bar de votre hôtel ! » J’adorais John Huston. Si vous pouviez entendre Dieu, il parlerait avec la voix de John Huston. Sur le plateau, il me disait : « Parlez plus vite Michael, vous jouez un honnête homme. » Depuis, je me méfie des gens qui parlent lentement. »
Plus actif que jamais, Michael Caine est désormais fameux pour son rôle d’Alfred, le valet de Batman dans The Dark Knight de Christopher Nolan.
« J’ai joué dans tous ses films, depuis Batman Begins jusqu’à Inception, et je m’apprête à rejoindre le tournage de son troisième Batman. Pour moi, c’est le nouveau David Lean. Il aime travailler avec les mêmes personnes de film en film. Chris Nolan est ma bonne étoile aujourd’hui. »
Olivier Père
Harry Brown de Daniel Barber, avec Michael Caine, Emily Mortimer (G.-B., 2009, 1 h 43)