Afin de reformer l’équilibre écologique et voir refleurir la démocratie, le journaliste Hervé Kempf appelle ses lecteurs à renverser l’oligarchie.
Dans un récent essai Vers une démocratie écologique, le citoyen, le savant et le politique (Seuil), Dominique Bourg et Kerry Whiteside analysaient l’impact du défiécologique sur la démocratie, impuissante dans sa forme actuelle à prévenir la gravité du changement climatique. Hervé Kempf, spécialiste de l’environnement au Monde, s’accroche à son tour à cette conviction dans son nouveau livre L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie (Seuil).
« La question climatique n’est soluble que par un bond démocratique », écrit-il, convaincu qu’elle est » la première question politique totale de l’histoire humaine ».
Sensible, comme ses articles militants en témoignent depuis des années dans son journal, à la question du réchauffement et au nécessaire besoin de changer nos modes de vie productivistes, l’auteur prend appui sur le péril écologique pour mesurer les carences démocratiques de notre régime actuel. Proche de la réflexion des Pinçon-Charlot (cf. Le Président des riches), Kempf dénonce ouvertement les dérives d’une démocratie qui « n’est plus que le manteau jeté sur la volonté in-flexible de l’oligarchie ».
Un réquisitoire contre nos élites prédatrices
A la mesure de l’incapacité de nos dirigeants de penser rigoureusement la question climatique, nous ne serions plus en démocratie selon lui, mais « dans un régime qui n’en préserve les apparences que pour mieux la trahir ».
Prolongement amer de ses deux précédents livres (Comment les riches détruisent la planète et Pour sauver la planète, sortez du capitalisme), L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie dresse un réquisitoire contre nos élites prédatrices et les modes de décision publique.
L’indice de cette dérive vers un régime oligarchique s’incarne dans la transformation des hauts fonctionnaires, formés à l’ENA, en maîtres du capitalisme, qu’il compare aux oligarques russes dans la mesure où ils transforment leur passage au sommet de l’Etat « en capital d’influence à faire fructifier dans les grandes entreprises qu’ils ont supervisées depuis le ministère ».
Outre leur morale pervertie par l’argent, Hervé Kempf dénonce le cynisme de ces élites égoïstes soudées par une conscience de classe aiguisée, leur « cohérence idéologique sans faille » et un « comportement sociologique parfaitement solidaire ». Cette association d’intérêts explique entre autres la facilité « déconcertante » avec laquelle le régime oligarchique a digéré la crise financière ouverte en 2007.
Si on peut rester sceptique devant son rejet un peu simpliste de la télévision accusée d’entretenir l’apathie populaire et la « niaiserie » de la jeunesse, l’auteur rappelle avec raison la vision de Castoriadis qui expliquait dans les années 1970 que « le système » tient parce qu’il réussit à créer l’adhésion des gens à ce qui est.
Revitaliser la démocratie impose ainsi pour l’auteur de réactiver un vrai projet écologique qui se fonde d’abord sur un combat contre les privilèges de l’oligarchie et sur une sortie des règles aveugles de l’économie de marché : en cela, son livre aux accents prométhéens prolonge une réflexion de plus en plus influente sur l’écologie comme levier essentiel de la question sociale et démocratique.
Jean-Marie Durand
L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie d’Hervé Kempf (Seuil), 158 pages, 14€.