En montant la pièce de Sénèque, Tommy Milliot poursuit un parcours théâtral où famille et tragédie ont partie liée.
La figure tutélaire du crime passionnel, c’est elle. Médée. Par passion pour Jason, elle trahit les siens, gardiens de la Toison d’or, tue et dépèce son frère et s’enfuit avec son amant en Corinthe où ils ont deux fils. Lorsqu’il la répudie pour épouser la fille du roi Créon, la magicienne se réveille. À nouveau la passion embrase sa fureur. À nouveau le sang coule. Qu’elle tue sa rivale, passe encore.
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Mais qu’elle égorge ses fils sous les yeux de Jason en proférant : “Douleur/jouis lentement du crime/ne te presse pas/ce jour est le mien” en fait résolument le personnage de tragédie le plus monstrueux jamais écrit. Crime du reste impuni, puisque dans la mythologie grecque, elle s’enfuit alors à Athènes sur un char attelé par deux dragons ailés, épouse le roi Egée dont elle a un fils et, à nouveau bannie, par Thésée cette fois, retourne près de son père en Colchide. L’infanticide de Médée n’est donc qu’un crime parmi d’autres, mais c’est celui qui a inspiré les tragédies d’Euripide, de Corneille ou de Sénèque, pour ne citer qu’elles.
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Scénographie minimale
C’est cette dernière, dans la traduction limpide et d’une modernité confondante de Florence Dupont, qu’a choisi de mettre en scène Tommy Milliot. Une première pour lui qui, jusqu’ici, a uniquement monté des textes contemporains, de Lotissement de Frédéric Vossier à Winterreise de Fredrik Brattberg ou La Brèche de Naomi Wallace. Un trait commun les réunit pourtant : la focale portée sur l’articulation entre famille et tragédie, la violence exercée sur l’enfance. Ainsi qu’une même façon d’opter pour une scénographie minimale – ici, la porte centrale du théâtre romain se déclinant en ouverture graduée jusqu’à la fente la plus fine pour laisser vibrer la lumière –, un cadre à la ligne claire où alternent les scènes jouées par les acteurs et le chœur qu’on entend en voix off, descriptif, programmatique, implacable.
Pas de surprise ni de montée du suspens avec Sénèque. Dès la première scène, Médée l’annonce : “Ma vengeance est déjà là/ma vengeance est déjà née/J’ai des enfants.” Mais en optant pour un théâtre opératique se substituant au jeu des passions, cette mise en scène de Médée reste comme à l’écart des acteurs. Inaccessible. Inhumaine. Voir le monstre n’est pas chose aisée. Mais le faire entendre, oui, cela, Tommy Milliot y réussit parfaitement.
Médée texte de Sénèque, mise en scène Tommy Milliot, avec Bénédicte Cerutti, Charlotte Clamens, Cyril Gueï et Miglen Mirtchev. Jusqu’au 3 octobre à La Criée de Marseille. Du 7 au 9 octobre au théâtre de Nice, du 13 au 14 octobre à Chateauvallon. En tournée jusqu’en mars 2022.
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