L’orchestration virtuose, avec une distribution exclusivement féminine, de l’émergence d’une conscience de classe et du sens de l’intérêt collectif. La mise en scène est signée Maëlle Poésy.
Sur le papier, c’est un cas d’école ; tout·e syndicaliste en herbe devrait faire ses classes chez le Florentin Stefano Massini. Voici l’argument de la pièce. Dix femmes, représentantes du personnel à l’usine Picard et Roche, attendent leur porte-parole, Blanche, qui s’éternise en réunion avec la direction. L’heure est au rachat de l’entreprise. Alors, dans un cas comme celui-là, forcément, on se prépare au pire : licenciements, délocalisation, baisse des salaires, dégradations des conditions de travail… Seulement, quand Blanche réapparaît, celle-ci annonce que rien ne changera, à condition que les 200 salariées de l’usine consentent à réduire de sept petites minutes leur pause quotidienne. Une broutille, au regard des scénarios envisagés.
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Euphorie dans les rangs. Évidemment qu’il faut accepter, hurlent ses camarades. Jusqu’à ce que Blanche, la mine déconfite, reprenne la parole. Elle aimerait, au moins, “en discuter”. Cette concession ne représenterait-elle pas, justement, le pire des renoncements ? Les mécanismes de domination patronale ne deviendraient-ils pas insupportables, précisément à cet endroit-là ? Le débat est ouvert. Et à la fin, il leur faudra voter. Les onze représentantes ont une heure et demie, montre en main, pour faire leur choix.
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Une conscience de classe, fragile mais décisive
Au fond, l’issue de la pièce n’a pas d’importance ; il serait vain d’y voir un simple thriller politique. Avec un dispositif scénique bi-frontal, Maëlle Poésy, 37 ans, orchestre avec une telle dextérité ses onze comédiennes, qu’elle montre, avec une précision remarquable, les conditions d’émergence de l’intérêt collectif et le parcours discursif semé d’embûches pour y mener. On pense beaucoup au film Douze Hommes en colère – où l’on suivait le débat enflammé entre les membres d’un jury statuant sur la culpabilité d’un jeune homme. Mais là où Sidney Lumet faisait briller l’éloquence d’un juré héroïque, Maëlle Poésy met en scène des femmes, aux itinéraires et classes d’âge bien différentes, peu rompues à l’exercice rhétorique ; l’intérêt est là.
Sur le plateau, la frustration de ne pas arriver à dire les choses fait place, à force d’intelligence et d’écoute, à une conscience de classe, fragile mais décisive. Épaulée par quatre actrices extérieures à la troupe (Camille Constantin, Maïka Louakairim, Mathilde-Edith Mennetrier, Lisa Toromanian), la distribution exclusivement féminine lance sous les meilleurs augures la rentrée théâtrale du Français.
7 Minutes de Stefano Massini, mise en scène Maëlle Poésy, avec Claude Mathieu, Véronique Vella, Françoise Gillard, Anna Cervinka, Elise Lhomeau, Elissa Alloula, Séphora Pondi. Jusqu’au 17 octobre, Comédie-Française (Vieux-Colombier), Paris.
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