Découvert par Judd Apatow à 16 ans, il est aujourd’hui le comique le plus cool d’Hollywood avec ses rôles d’adulescent geek. Dans « The Green Hornet », il devient superhéros tout en restant un peu supergrave.
Dans un épisode fameux de l’avant-dernière saison des Simpson, la vingt et unième, Homer est engagé par un studio hollywoodien pour interpréter un nouveau superhéros : Everyman. Son superpouvoir ? Qu’il touche la couverture d’un comic book et il possède instantanément le superpouvoir du superhéros en question. Par un jeu sur le double sens du mot « every », il est donc à la fois tous les hommes et n’importe quel homme, le plus fort et le moins singulier.
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Le scénario, on s’en doute, ne tardera pas à le ramener à son adipeuse banalité d’Américain moyen, réduisant à néant ses efforts pour devenir musclé et sexy.
Si cet épisode, intitulé Homer the Whopper, est fameux, c’est qu’il a été écrit par Seth Rogen et son comparse Evan Goldberg ; et qu’il n’existe sans doute pas d’introduction plus condensée à l’univers déréglé de ce geek canadien d’à peine 30 ans, scénariste et acteur devenu en quelques années le roi d’Hollywood, sous l’ombre bienfaitrice de son mentor Judd Apatow.
Les deux premiers films du binôme qu’il forme avec Goldberg, SuperGrave et Délire express, ont dépassé la barre des 100 millions de dollars au box-office – pour des budgets quatre à cinq fois moindre – et The Green Hornet, qui sort cette semaine sur les écrans américains et français, est bien parti pour être un hit.
Le film de Michel Gondry, où Seth Rogen interprète un héritier dépravé qui, pour donner sens à sa vie, décide de devenir superhéros, repose sur la même idée que l’épisode des Simpson – et que tous les films du duo, finalement : l’idée que n’importe qui puisse du jour au lendemain se transformer en quelqu’un.
C’est le frêle McLovin qui, à l’issue d’une virée after hours dans SuperGrave, devient enfin désirable ; c’est le tranquille fumeur de joints qui anéantit, AK-47 en bandoulière, un gang de narcotrafiquants dans Délire express… Mais c’est aussi, à y regarder de plus près, le destin de Seth Rogen lui-même.
Par quel miracle, en effet, un adolescent canadien, bourru et timide, fils de modestes travailleurs sociaux, peut-il se retrouver quelques années plus tard photographié par Annie Leibovitz dans Vanity Fair, posant alangui en juste-au-corps rose comme la plus séduisante créature sur terre ?
En 1995, Seth Rogen ne correspondait pas tout à fait à l’idée qu’on se fait de la branchitude ; aujourd’hui, trouvez un seul héros plus cool que le Frelon vert, un seul acteur qui incarne mieux la jeunesse occidentale, adulescente et matérialiste que Seth Rogen ?
Pourtant, lui n’a pas changé ou à peine – quelques kilos en moins pour les besoins du film -, c’est le monde qui s’est accordé à lui. Seth Rogen, c’est l’histoire du cancre au fond de la classe qui fait rire tout le monde et dessine des bites sur ses cahiers mais que personne n’admire. Et un beau jour, la roue tourne. Les poignées d’amour deviennent sexy et collectionner des figurines de superhéros n’est plus un handicap sur Meetic. Les teddy bears sortent de leur tanière – nous ne sommes rien, soyons tout.
« Je ne savais pas grand-chose de la vie alors je faisais des blagues sur les deux seuls sujets que je connaissais : ma bar-mitsva et mes grands- parents. »
Avant le grand soir, retour en 1995. Tandis que la série Beverly Hills 90210 entame sa cinquième saison, Seth Rogen a 13 ans. Ses parents, juifs pratiquants, très ancrés à gauche dans une tradition sioniste originelle, vivent à Vancouver. Ils travaillent dans le social, tout comme sa soeur aînée. Ce sont eux qui l’encouragent, lors d’un camp de vacances pour jeunes Juifs et plus tard dans un bar (lesbien) de la ville, à se lancer dans le stand-up comedy.
Le petit Seth ne s’intéresse pas beaucoup à l’école, alors il faut bien l’occuper. Plutôt disgracieux avec ses bourrelets et sa voix caverneuse à réveiller les oursons, il se forge un caractère dans ces clubs d’impro, apprend à dompter sa timidité. « Je ne savais pas grand-chose de la vie alors je faisais des blagues sur les deux seuls sujets que je connaissais : ma bar-mitsva et mes grands- parents. Un peu plus tard, c’est devenu l’alcool et les seins », glisse-t-il à un journaliste du Onion A. V. Club en 2007.
Quand il n’est pas sur scène, il passe son temps avec Evan Goldberg, son meilleur ami, à regarder des comédies teen des années 80 (Fast Times at Ridgemont High, Animal College, Porky’s…) car celles de son époque lui paraissent fades et peu réalistes.
« Aucune cellule de mon corps ne pouvait s’identifier aux personnages de Beverly Hills. Je n’ai rien contre les séries débiles, je ne suis pas snob, mais là, il était évident que ces mecs n’avaient rien à voir avec nous », dit-il au Guardian en 2007.
Avec Evan, ils décident alors d’écrire un film qui leur ressemble, un film où leurs problèmes pour acheter de la bière et leurs obsessions mammaires auraient enfin droit au chapitre. Ils s’enferment dans la cave et en ressortent avec une centaine de pages agrafées, avec écrit au feutre sur la couverture : SuperGrave.
La route qui les sépare des 170 millions de dollars est encore longue. A 16 ans, alors qu’il vient de se faire expulser de son lycée, Seth Rogen se présente à un casting aux Etats-Unis. Un certain Judd Apatow le reçoit et lui fait passer une audition pour une série TV sur l’adolescence située dans les eighties et intitulée Freaks and Geeks.
Au bout de deux minutes, il est engagé mais pour le rôle d’un freaks – entendez un de ces gamins rebelles, pas assez brillant pour intégrer la fac, qui finira au mieux garagiste ou épicier du coin. De cette audition, Apatow dira plus tard qu’elle fut une révélation, confirmée par les années : celle d’avoir trouvé mieux qu’un disciple, un ami.
La série est annulée avant même la fin de la première saison mais récolte les lauriers critiques et devient rapidement un must de la culture geek. Surtout, elle assied une bande de jeunes comédiens, réalisateurs et scénaristes sur les bancs de l’école Apatow.
S’y forment ou s’y perfectionnent les acteurs James Franco, Jason Segel ou Linda Cardellini, mais aussi Nicholas Stoller, Jake Kasdan ou Paul Feig, qui ont tous réalisé au moins un film sous la bannière Apatow par la suite.
Incontestablement, Freaks and Geeks a lancé une génération de comiques, dont Seth Rogen serait en quelque sorte le lieutenant. Il rempilera l’année suivante en 2001 dans Les Années campus – nouvelle série d’Apatow et nouvelle annulation – avec un rôle mineur mais un poste de scénariste à la clé.
C’est là, dans l’anonymat du scriptwriting télévisuel, que Rogen va reprendre goût à sa passion première, l’écriture. Il ressort du placard son vieux scénario de SuperGrave, reprend contact avec son pote Evan Goldberg parti entre-temps à la fac.
Ensemble, ils s’attellent à une réécriture du projet. Avant le succès que l’on sait, tous deux rédigent d’abord une saison du Da Ali G Show pour Sacha Baron Cohen en 2004. Encouragés par une nomination aux Emmy, ils laissent alors libre cours à leur imagination. C’est de ces sessions enfumées que sortiront notamment les scénarios de Délire express et du Green Hornet.
Les années suivantes voient le retour de Seth Rogen devant la caméra, à la faveur d’un caméo remarqué dans 40 ans, toujours puceau en 2005 et surtout d’un premier grand rôle dans En cloque, mode d’emploi en 2007, deux films de Judd Apatow qui l’installent une bonne fois pour toutes sur la carte du cool.
Le geek renfrogné y séduit les plus belles femmes, y formule les meilleures blagues. Né au cinéma au début des 90’s, avec le verbiage des truands tarantinesques ou des épiciers de Kevin Smith (Clerks), il conquiert le terrain par son flow, l’occupe par son flegme. « Seth Rogen ? J’en ai fait une star pour que les gars comme vous puissiez enfin baiser », disait Judd Apatow de passage à Paris l’an dernier, à ses fans venus le voir à la Fnac.
Bourreau de travail, Seth Rogen mène dès lors deux carrières de front, ce qui lui a valu d’être élu par le magazine Forbes « acteur le plus actif d’Hollywood », avec douze films entre 2005 et 2009. En 2007, il confiait à Time Magazine :
« C’est Judd qui nous a appris, à Evan et moi, à laisser tomber nos histoires de martiens, qu’on écrivait au kilomètre, pour nous concentrer sur des intrigues et des personnages réels qui nous ressemblent. Il nous disait : ‘moins de sperme, plus d’émotion’. »
De fait, si leurs films contiennent presque autant d’éjaculations (verbales) que d’émotion, ils leur ressemblent, indéniablement. Presque toujours, leur sujet profond est l’amitié indéfectible unissant un groupe d’amis, autant à l’aise dans la vanne que paumés dans leurs vans. Même dans ceux qu’il n’a pas écrits (les trois films de Judd Apatow, Zach et Miri tournent un porno de Kevin Smith ou le dérangeant et inédit Observe and Report de Jody Hill), Rogen ne s’éloigne jamais tout à fait du personnage de jeune adulte indécis mais légèrement arrogant, attiré par la torpeur adolescente mais sachant pertinemment qu’il faudra un jour y renoncer.
Un autre thème, corollaire du premier, parcourt la filmographie de l’acteur canadien : l’homo-érotisme. Il n’est pas rare, en effet, que chez lui l’amitié se pare d’une certaine ambiguïté sexuelle, toujours reniée mais suffisamment fréquente pour qu’on s’interroge.
La plus évidente preuve en est donnée par l’avant-dernière scène de SuperGrave, lorsque Jonah Hill et Michael Cera (avatars de Rogen et Goldberg) se pressent l’un contre l’autre et, dans la chaleur des duvets, se déclarent « I love you, man ». On pourrait également citer l’épisode de Freaks and Geeks où Rogen se demande s’il doit quitter sa petite amie parce qu’elle est hermaphrodite ; ou les trois minutes de blagues non-stop sur le thème « tu sais comment je sais que t’es gay ? » dans 40 ans, toujours puceau ; ou encore la gêne sur le visage du Frelon vert lorsqu’il présente sans le faire exprès Kato comme « son mec ».
Qu’on se permette une suggestion : Seth Rogen devrait s’atteler au plus vite à un remake de Dans la peau d’une blonde, le film de Blake Edwards où un macho réincarné en blonde finissait par accoucher d’un bébé conçu avec son meilleur pote. Car au fond, partager à la fois son lit et ses beuveries avec la même personne, n’est-ce pas là le plus cool des superpouvoirs ?
Jacky Goldberg
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