En plongeant au sein d’un groupe de lycéen·nes queer, cette série tente de prendre acte de la déconstruction sexuelle et genrée d’une génération mais reste à la surface de ses personnages.
Dans les vestiaires sportif d’un lycée américain huppé, Chester, silhouette musclée et cheveux peroxydés, remet soigneusement ses bijoux pendant que ses coéquipiers se changent. Filmée à hauteur du banc sur lequel il est assis, la scène le saisit plein cadre tandis que ses camarades hétéros, debout, sont réduits à un sexe ou un cul défilant autour de lui.
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Si les séries adolescentes contemporaines ont pris acte d’une jeunesse pour laquelle les clivages de genre et de sexualité seraient sur le point d’être dépassés, Genera+ion pousse le curseur un peu plus loin. Coproduite par Lena Dunham, dont la série Girls demeure un marqueur culturel du début des années 2010, la nouvelle création originale d’HBO Max, écrite par Zelda Barnz, une jeune fille de 17 ans, et mise en scène par son père Daniel, homosexuel, dépasse la question de l’inclusivité pour inverser la marge et le centre, reléguant l’hétérosexualité à la périphérie du récit pour suivre le quotidien d’un groupe de personnages queer (le “+” du titre renvoyant au sigle LGBTQI+).
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Bulle dorée
On y entre dans le sillage de Chester, un adolescent charismatique qui échappe aux attendus liés aux personnages gays : s’il se balade en crop-tops bariolés et arbore des ongles vernis, il est également l’un des athlètes les plus populaires du lycée. Le point de vue se diffracte ensuite pour circuler entre Nathan, qui explore sa bisexualité et fantasme sur le copain de sa sœur jumelle Naomi, photographe amatrice à la sexualité débridée, ou encore Greta, jeune fille timide d’origine hispanique qui fantasme elle-même secrètement sur cette dernière.
Tous·tes ou presque évoluent dans un milieu social aisé, entre villas avec piscine et répétitions de mariage barbantes sur des péniches cossues. Cet environnement a son importance, car la déconstruction et la liberté de ton des personnages sont favorisées par leur assise financière et leur capital culturel élevé. À contrario, elles se heurtent à des traditions familiales souvent conservatrices et à l’incompréhension de leurs parents, génération pour laquelle l’affirmation des différences tient plus d’un besoin d’attention que d’une nécessité profonde.
Cette bulle dorée, hélas, nous met à distance de ces adolescent·es aux préoccupations quotidiennes parfois futiles, et dont le rapport aux autres et au monde se joue sur un mode essentiellement cynique. Quasiment dénués de tabous et maîtrisant à la perfection les codes d’une époque autocentrée, ses personnages glissent à la surface de la fiction sans parvenir à nous y entraîner pleinement, tirant les ficelles d’un soap bitchy qui oublie parfois de sonder leur intériorité ou de creuser les thématiques qu’il agrège.
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Manque de rugosité
Il en est ainsi de l’omniprésence des réseaux sociaux (tout ce beau monde semble avoir un téléphone portable greffé sur la main), traitée efficacement en termes de mise en scène ou lorsque leurs canaux numériques tissent un inframonde inaccessible aux adultes, mais peu investie dans sa dimension addictive et potentiellement dramatique.
Si elle manie avec vigueur les marqueurs de la génération Z, des tubes musicaux aux mèmes viraux en passant par les idiomes singuliers, la série n’a ni la puissance d’Euphoria, qui envisage l’adolescence comme un gouffre émotionnel et viscéral aux contours tragiques, ni la saveur de Sex Education, qui lie l’éducation sexuelle au teen drama dans un retournement ludique des codes du genre. Elle se situe plutôt sur les sentiers battus de Love, Victor, série dérivée du film Love, Simon qui venait parachever la normalisation des thématiques LGBTQI+ dans les séries adolescentes.
Malgré son manque de rugosité et sa tendance à se disperser, une forme de gravité pointe sous la surface de Genera+ion, une bile noire que ses personnages, si conscients de leur image et désabusés soient-ils, ne parviennent pas totalement à dissimuler, le mal-être d’une génération à l’horizon (politique, environnemental) bouché et dont le socle de pixels menace de se dérober, et qui puise sa force dans des amours et des amitiés plus fluides que jamais.
Genera+ion de Daniel et Zelda Barnz, avec Justice Smith, Chase Sui Wonders, Uly Schlesinger. À partir du 30 septembre sur Canal+.
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