Le créateur défend une vision de la mode mêlant technologie et upcycling et puise son inspiration dans ses racines.
À première vue, Benjamin Benmoyal n’était pas destiné à une carrière dans la mode. C’est une quête de rêve et d’échappatoire qui le pousse à délaisser la science et l’armée pour se lancer dans la création de vêtements. Il passe par la Central Saint Martins puis Alexander McQueen et Hermès avant de donner vie à sa marque éponyme, entre intimité, folklore et questionnement sur la modernité.
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Benjamin Benmoyal puise dans son identité multiculturelle pour produire des habits aux rayures et volumes de costumes berbères, qu’il tisse à partir de vieilles bandes de VHS de cassettes de son enfance. Mêlant ainsi artisanat et technologie, il a une approche qu’il décrit comme “métamoderne” : qui est consciente des travers du monde post-moderne, mais qui y trouve une certaine poésie.
Avant de dévoiler sa collection Printemps-Été 2022 à la Paris Fashion Week, le créateur nous parle de sa vision de la mode.
Quel lien y-a-t-il entre votre parcours et l’ADN de votre griffe ?
Benjamin Benmoyal – Étant passé d’études scientifiques à l’armée et de l’armée à la mode, beaucoup de gens résumeraient mon parcours comme “atypique”. Moi je dirais qu’il a été organique, et que chaque expérience a conduit à ce que je fais maintenant et contribue au développement de mes collections.
Pour ce qui est de l’ADN de ma marque, il y a bien sûr l’artisanat, avec le tissage de mes propres textiles à partir de bandes magnétiques de cassettes audio et vidéo recyclées. Mais aussi mon rapport à l’écologie, j’utilise exclusivement des fils et du textile issus de dead stock (ou restes de production, ndlr).
Pour la création de mes tissus ainsi que pour les lignes et volumes des vêtements, je m’inspire principalement de mes origines marocaines, du côté de mon père, et égyptiennes, du côté de ma mère.
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D’où vous vient l’idée d’incorporer des bandes dans vos textiles ?
Mon concept sur le tissage de cassettes vient du désir de retrouver une naïveté et une innocence perdue. Dans mon cas, perdue à cause de mon service militaire, mais je pense que c’est plutôt universel. Chacun perd de sa naïveté simplement en grandissant et en vivant différentes expériences plus ou moins bonnes.
Le tissage de vieilles bandes audio et VHS, c’est une sorte d’allégorie. Comme si retisser mes vieilles cassettes Disney d’enfance et en créer un tissu, quelque chose de nouveau, revenait à me réapproprier cette part d’innocence.
À travers vos créations, souhaitez-vous porter un message sur la migration et le multiculturalisme ?
Je ne veux pas forcément suggérer quelque chose, mon travail est plutôt le reflet de mon évolution, de mes recherches personnelles sur mes origines, et de mon identité.
Je trouve ça particulièrement difficile de s’identifier à une seule culture lorsque l’on en a plusieurs. Être né en France de parents juifs marocains et égyptiens, mais aussi avoir grandi en Israël et passé six ans en Angleterre pour mes études… Tout ça me perturbe un peu. Je ne me sens vraiment chez moi nulle part, et en ce moment, je fais ce travail de recherche de mon identité en m’attardant particulièrement sur le Maroc et sa culture incroyable et fascinante…
Pouvez-vous décrire votre pratique artisanalo-technologique ?
À une époque, je faisais tous mes tissus moi-même, manuellement. Ce qui est génial, mais absolument pas viable pour créer une marque, vu que ce processus est extrêmement chronophage. Désormais, je tisse manuellement seulement pour le développement : juste un petit échantillon, en quelques heures. Je modifie deux-trois éléments à la main, et une fois satisfait, j’envoie ça au prototypage industriel, puis à la production en usine. Le tout en France, bien sûr.
Nous avons enfin réussi à industrialiser cette technique de tissage avec des cassettes, et nous avons en possession des milliers de kilomètres de bandes magnétiques qu’on a obtenues grâce à l’aide de gens autour de nous et de plusieurs associations de recyclage, mais aussi en rassemblant le dead stock d’usines fermées dans les années 2000.
Je ne défends pas un travail manuel post-internet, je pense juste que l’artisanat peut et doit cohabiter avec les nouvelles technologies… Sans les ordinateurs, nous n’aurions jamais pu industrialiser ce procédé de tissage. Je dirais que la dimension “upcycling-tech” joue un rôle symbolique qui est plutôt révélateur de la période actuelle. Un monde post-postmoderne, ou plutôt “métamoderne” pour reprendre les théoriciens culturels Timotheus Vermeulen et Robin van den Akker.
Que découvrira-t-on dans votre nouvelle collection présentée lors de la Fashion Week parisienne Printemps-Été 2022 ?
On découvrira une nouvelle fois ces inspirations marocaines, méditerranéennes, mais utilisées de façon un peu différente. Les tissus rayés et colorés évoquent l’esthétique berbère. J’ai également fait un vrai travail de recherche en m’inspirant des techniques de drapé des habits traditionnels marocains. Très souvent, les femmes portaient simplement un grand rectangle de tissu, drapé d’une certaine façon et maintenu simplement par un fil d’or. C’est pour cette raison que la majorité de ces patronages sont juste des rectangles assemblés.
On y verra également de grands chapeaux circulaires, entièrement fabriqués à partir de fleurs séchées. Ils sont inspirés des schtreimels, ces chapeaux de fourrure portés par les hommes juifs hassidiques pour Shabbat et les fêtes. J’ai voulu faire ça en apprenant il y a quelques mois qu’Israël avait banni le commerce de la fourrure, sauf…. pour les schtreimels. Ça m’a fait rire.
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