Forcément, quand l’artiste que vous venez interviewer a ouvert son atelier dans votre ancien immeuble, ça commence par des échanges un peu triviaux. « T’avais aussi des problèmes pour accéder au local poubelles ? », demande JR un poil inquiet. « Oh ! là, là ! mon Dieu oui », lui répond-on direct. Et le fou du deuxième, il […]
Forcément, quand l’artiste que vous venez interviewer a ouvert son atelier dans votre ancien immeuble, ça commence par des échanges un peu triviaux. « T’avais aussi des problèmes pour accéder au local poubelles ? », demande JR un poil inquiet. « Oh ! là, là ! mon Dieu oui », lui répond-on direct. Et le fou du deuxième, il habite toujours là ? Visiblement non.
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Deux ans que le photographe et street artist – l’un des plus cotés au monde, avec Banksy, Blu ou encore Obey – s’est installé dans cette arrière-cour du XXe arrondissement de Paris. Aux murs, des photos de sa dernière expédition en Chine, à Shanghai. Il est parti un mois là-bas, avec son équipe. « J’y suis allé pour trois trucs : un projet illégal, une exposition et un festival d’art contemporain. Au final, je suis parvenu à exposer les photos que j’ai collées illégalement. Je pensais qu’on allait se faire serrer au premier collage sauvage, mais les autorités chinoises n’ont pas bien su comment nous gérer, ils semblaient surpris surtout », plaisante JR, avant de reprendre en tripotant son chapeau.
« On s’est fait arrêter quand même, au bout d’un moment, mais on a été relâchés – et assez vite, je trouve. Aucune photo n’a été censurée, si ce n’est une qui a été recadrée parce qu’on y voyait le drapeau chinois. »
Il montre justement la photo non recadrée sur l’un des murs de l’atelier.
L’actualité du jeune photographe, 27 ans, c’est Women Are Heroes, le premier film qu’il a réalisé pour le cinéma et projeté à Cannes l’an dernier. Des portraits de femmes exposés dans les quartiers les plus pauvres : au Brésil, en Inde, en Sierra Leone, au Liberia. Féministe, JR ? « J’ai fait ce film non pas par conviction féministe profonde, mais plutôt parce que coller des photos de femme, c’était une façon de me confronter aux hommes. Ça ajoutait un degré de complication. »
JR adore ça, la complication. Peut-être plus que la photo.
« Je vais coller des images où les artistes ne vont pas en général. Je suis allé au Soudan, ce n’est pas une destination très street art. J’ai besoin de confrontation, j’ai besoin que les mecs m’embrouillent, finissent par comprendre ce que je fais, et m’autorisent au final à continuer. J’aime que vingt personnes discutent autour d’une photo que je viens de coller, qu’il y ait du débat, de l’action. »
Tout en parlant, JR se lève et attrape une série de perches : « C’est notre petit musée, ici. » Perche en bois, perche télescopique des States, raclettes à colle vintage probablement faites main.
Une autre perche. « Là, celle-là, tiens : elle a fait le Liberia, la Sierra Leone, la Belgique et le Brésil. » Il en prend une autre et nous la tend. « Celle-ci, c’est du bambou d’Inde. On l’avait ramenée en souvenir, enregistrée à l’aéroport, mais on l’avait oubliée sur le tapis. Un jour, la compagnie aérienne m’appelle pour me dire que j’ai perdu un bagage et qu’ils peuvent me le livrer. Un type s’est pointé avec cette perche à la porte d’entrée, il a dû me prendre pour un cinglé », se marre JR.
Il poursuit. « L’important, ça n’est pas la photo, c’est l’endroit où on la colle, et comment on la colle. Je m’en fous presque de l’avoir faite moi-même, je colle des photos des autres aussi », dit-il en récupérant sa perche en bambou, qu’il range soigneusement près des autres.
« On va repartir bientôt, conclut-il. L’atelier, c’est bien, mais le mieux c’est quand il est fermé. Ça veut dire qu’on est partis coller. »
Pierre Siankowski
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