Thérapeute, militant queer, Juliet Drouar publie ce 21 septembre son livre “Sortir de l’hétérosexualité”. Il y défend une vision non binaire de la société patriarcale.
“Notre société trie les enfants à la naissance en fonction de leurs organes génitaux et en déduit l’étiquette à leur coller : homme ou femme, qui veut dire dominant ou dominée” : tel est le postulat du livre-manifeste de Juliet Drouar, qui questionne dans son premier ouvrage Sortir de l’hétérosexualité la domination et la violence systémique produite par la création des catégories “homme” et “femme”.
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Et si on arrêtait ces catégories qui nous affligent dès la naissance pour exister en tant que personne, s’interroge-t-il ? Juliet Drouar rêve d’une ouverture des possibles, pour aimer, baiser, cohabiter, procréer, être parent avec qui l’on veut, comme on veut. Rencontre.
Comment abordez-vous dans votre livre les questions du couple, de la relation et de la parentalité hors d’un schéma hétérosexuel ?
Juliet Drouar – Je me suis demandé : voulons-nous continuer à avoir une société construite à travers les prismes homme et femme, ou plutôt souhaitons-nous avoir un rapport entre personnes au-delà de ces catégories “dominant” et “dominé·e” ? Si l’on fait autrement, on pourrait être en relation avec n’importe quelle personne, vivre l’amour, l’amitié, la parentalité et la procréation avec qui l’on veut. Ce dernier cas est le seul endroit où ça nous intéresse de savoir s’il y a une compatibilité entre gamètes, pour le reste, ça n’a aucun impact. Quand la question de la procréation se pose (et c’est pas tous les quatre matins !) plein de solutions existent : ça peut être la procréation par coït reproductif ou par pipettes, on s’en moque. Et procréation ne veut pas dire nécessairement parentalité, ni cohabitation, ni amour avec la même personne : c’est comme on le souhaite. Pour moi, avant tout, c’est se souvenir qu’homme et femme sont des catégories qui n’existent que dans un rapport de domination, qu’on peut s’en passer et ainsi ouvrir un panel de possibilités de relations entre chacun·es.
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La sexualité hétérosexuelle consentie et l’amour hétérosexuel peuvent-ils exister ?
Il faudrait ré-établir les notions de consentement qui posent la question des positions de domination. Existe-t-il un consentement réel quand il y a une asymétrie de pouvoir d’emblée présente ? Il faut questionner l’éducation et ce qu’est l’amour du point de vue du sexisme. Nous assistons à une propagande qui dit grosso modo que les femmes aiment la violence et qu’il faut être courtisée. C’est évidemment faux, les femmes n’aiment pas les hommes violents. Les discours qui disent que l’on est amoureux·se de cette domination contribuent évidemment à la perpétuer.
Que souhaitez-vous dire aux femmes hétérosexuelles qui liront votre livre ?
Je ne suis pas là pour sermonner. Je suis blanc, valide, de classe moyenne, alors ce serait hypocrite de ma part de stigmatiser. Je pense qu’il est davantage question de reconnaître un objectif commun. On trouve toustes nos stratégies, on veut toustes arriver à être heureux·se. Le sexisme, c’est l’attribution arbitraire de statuts supérieur ou inférieur, appelés “homme” ou “femme” en fonction de nos organes génitaux. Et c’est également la mise en relation constante de chaque dominant avec chaque dominée, de chaque personne de la classe homme avec chaque femme. Alors qu’aucune nature ne nous y oblige. Si tout le monde pouvait prendre conscience de ça, je serais le plus heureux du monde. Le sexisme a pour but l’exploitation du travail gratuit ou sous-payé des personnes labellisées “femmes” (au sein du couple, elles en font trois fois plus, elles occupent les postes moins bien payés de par leur “nature féminine” etc.)
Avez-vous rencontré de la résistance à ces concepts dans les milieux féministes ?
Beaucoup de personnes se disent féministes, mais se battent finalement pour que les catégories homme-femme persistent. Ils et elles contribuent à faire perdurer ce malentendu. Il y a une mécompréhension de ce qu’est le sexisme. Comme ces catégories-là (homme et femme) veulent dire “dominant ”et “dominée”, il n’y aura jamais d’égalité, car c’est précisément leur asymétrie qui les fait exister. Le but est moins la culpabilité que la reconnaissance de cela : la cishétérosexualité est le sexisme.
Un couple gay peut pourtant lui aussi réitérer des violences ?
Mon livre se concentre sur la structure de l’hétérosexualité et de sa binarité homme/femme, car on est toustes baigné·es dedans. Personne ne vit sans être confronté aux principes de genres. En ce sens, on peut donc reproduire des comportements normatifs, on peut trouver de la violence dans n’importe quel couple. Or, ce qui est différent, c’est que dans un couple hétérosexuel, on fait face à la thématique du sexisme en termes de rapport de pouvoir et de violence structurelle. Il y a une domination systémique et structurelle entre un homme cisgenre et une femme cisgenre qui n’existe pas dans un couple gay. Même si bien sûr, pour ce dernier, la domination structurelle peut être ailleurs, dans les dynamiques classistes, racistes, validistes etc.
Sortir de l’hétérosexualité (Binge audio.editions), La collection Sur la Table, 158 p. 15€
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