Toujours experte en spleen photogénique, entomologiste de l’ennui des nantis, Sofia Coppola approfondit son cinéma de chambre.
Sofia Coppola a la réputation d’être timide en interview. Tellement rétive à l’exercice qu’elle en a fait une scène très drôle dans Somewhere, où le personnage principal Johnny Marco se fait bombarder de questions stupides lors d’une conférence de presse… Pourtant, c’est de bonne grâce qu’elle s’est prêtée au jeu, revenant sur ses influences et les quelques détails pop (T-shirts, musique, numéro de chambre…) qui font le charme de son film.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Entretien > Somewhere est votre deuxième scénario original après Lost in Translation (2003). Les deux films se passent dans un hôtel. D’où vient votre attachement à ce genre de lieux ? Est-ce parce qu’un hôtel est une imitation de la vie, comme le cinéma ?
Sofia Coppola – Je n’y ai pas pensé quand j’ai commencé à écrire mais plus j’imaginais le personnage, plus je le voyais au Chateau Marmont. Beaucoup d’acteurs y ont vécu, ça me semblait logique que Johnny (Stephen Dorff) y habite. Les héros des deux films sont à un moment de transition dans leur vie. L’hôtel n’étant pas un lieu d’habitation permanent, cela semblait donc un environnement logique pour ça. J’adore les hôtels, j’y ai beaucoup séjourné, j’y ai accompagné mon père sur les tournages et j’ai toujours aimé observer les gens qui y passent du temps…
Il existe toute une mythologie autour des chambres du Chateau Marmont. De Robert Mitchum à Lindsay Lohan, on sait qui les a occupées ; Stephen Dorff et Benicio Del Toro en parlent dans l’ascenseur de l’hôtel. Comment avez-vous choisi la suite qu’occupe Johnny dans le film ?
C’est vrai qu’il y a des tas d’histoires autour des chambres : pendant le tournage, le directeur photo de Somewhere, Harris Savides, vivait justement dans le fameux bungalow où est mort John Belushi. On a choisi la chambre de Johnny pour sa lumière et la manière dont elle est disposée. Et aussi parce qu’elle donne sur Sunset Boulevard : j’aime la vue sur le Strip. J’ai occupé cette chambre par le passé, Helmut Newton en avait une similaire. Elle m’évoque donc aussi des souvenirs. C’est la chambre 59.
Le premier plan, très long, résume le film de façon abstraite. On pense à certains road movies des seventies, comme Point limite zéro de Richard Sarafian (1971)…
Je ne l’ai jamais vu mais j’aime beaucoup les films des années 70, leur texture. On a tourné sur pellicule pour cette raison. Pour la séquence d’ouverture, je cherchais simplement une manière visuelle d’introduire mon personnage. Je savais qu’il avait une Ferrari, et une première image m’est venue : une voiture qui tourne dans le désert. A posteriori, cet espace désertique résume assez bien l’état d’esprit dans lequel il se trouve. C’est aussi une surface vide que le spectateur peut remplir avec ses propres pensées. Et puis je connais des gens à L. A. qui possèdent des voitures de sport qu’ils ne peuvent pas vraiment utiliser en ville. Ils sortent donc dans le désert pour pousser leur bolide.
Comment avez-vous pensé à Stephen Dorff ?
J’ai pensé à lui très tôt mais je ne m’en suis pas inspirée pour écrire, plutôt de toutes ces histoires qu’on lit dans les tabloïds sur ces acteurs fêtards rattrapés par une espèce de crise. Je le connais depuis les années 90, on avait des amis communs à l’époque. Je ne l’avais pas revu depuis longtemps mais je le savais différent de son image d’action hero. Il a quelque chose de très doux, c’est ce que je cherchais pour la relation avec la petite fille.
C’est drôle que vous parliez des années 90 car les habits de Johnny dans le film font vraiment penser à cette période : gros godillots, chemise à carreaux, etc. Le temps du revival nineties est-il arrivé ?
C’est sentimental : ce sont les années de ma jeunesse et je les ai passées à L. A. J’adorais les fringues dans My Own Private Idaho : à l’époque tous les garçons voulaient s’habiller comme Keanu Reeves. Somewhere est un voyage discret dans ces années-là : pour les costumes de Stephen Dorff, je me suis souvenue des T-shirts Black Flag ou Sub Pop que portait mon grand frère, des road trips qu’on faisait dans sa Porsche à l’époque, comme Johnny et sa fille dans le film…
Il y a aussi la chanson des Foo Fighters, My Hero. Une forme de nostalgie des tubes pop pointe dans la façon dont vous les utilisez…
Ce n’est pas conscient. Je choisis toutes mes musiques mais mon boyfriend (Thomas Mars du groupe Phoenix – ndlr) me fait découvrir beaucoup de choses. Je ne connaissais pas la chanson One Thing d’Amerie, par exemple : c’est Branco (Laurent Brancowitz – ndlr) de Phoenix qui l’adore et me l’a fait écouter, je l’ai trouvée parfaite pour le strip-tease des deux “tennis girls”. Quant à Cool de Gwen Stefani, je trouve que l’humeur de la chanson colle parfaitement à la séquence, mais je voulais surtout que ce soit crédible qu’une petite fille de 12 ans la choisisse pour son numéro de patins à glace plutôt qu’un morceau cool mais obscur.
Le héros passe les vingt premières minutes du film sans prononcer une parole. Comment avez-vous envisagé cela en termes de mise en scène ?
C’est une blague qui revenait souvent pendant la postproduction : on trouvait que la société chargée des sous-titres devait nous faire une ristourne ! J’aimais l’idée d’être seule avec lui et son silence, et d’accompagner cela par un travail de caméra très simple. Dans les films, les gens disent souvent “je me sens comme ci ou comme ça, je pense ça”, mais dans la vie on garde souvent ces pensées pour soi. Ou alors on regrette de ne pas avoir dit “ci ou ça”, mais bien plus tard.
Vous avez utilisé des objectifs qui avaient servi pour Rusty James, réalisé par votre père Francis Ford Coppola en 1983…
Mon frère Roman les avait conservés et les a fait réparer pour Somewhere. Mon père se moque toujours de mon obstination à tourner sur film, lui qui est à fond dans la technologie numérique. Mon fétichisme de la pellicule l’attendrit.
Clélia Cohen & Jacky Goldberg
Somewhere de Sofia Coppola, avec Stephen Dorff, Elle Fanning, Chris Pontius
{"type":"Banniere-Basse"}