Cette série satirique en dix épisodes est signée Robert Altman. Pendant les premières minutes, on se demande s’il s’agit bien du réalisateur de Short cuts ou Kansas City. La mise en scène est en effet approximative, à rebours de la grammaire cinématographique orthodoxe : zooms intempestifs, brusques mouvements de caméra, cadrages improvisés… On s’agace d’abord, […]
Cette série satirique en dix épisodes est signée Robert Altman. Pendant les premières minutes, on se demande s’il s’agit bien du réalisateur de Short cuts ou Kansas City. La mise en scène est en effet approximative, à rebours de la grammaire cinématographique orthodoxe : zooms intempestifs, brusques mouvements de caméra, cadrages improvisés… On s’agace d’abord, avant de comprendre qu’Altman a délibérément tourné le dos au cinéma avec un grand C afin d’exploiter toutes les possibilités de l’outil télévisuel. Il stigmatise la campagne présidentielle américaine de 1988, incarnée par un candidat fictif, Jack Tanner, en donnant à ces dix épisodes la texture de vrais reportages. On pense à Strip-tease, l’émission diffusée sur France 3 dans laquelle la réalité transpire, puis déborde des sujets, pour aboutir à des tranches de vie troublantes d’authenticité. Altman arrive à un résultat aussi critique et caustique en mêlant allégrement fiction et réalité. Il a même théorisé ce concept en le baptisant « mock documentary » ou « mockumentary », qu’on pourrait traduire en français par « documentaire moqueur » ou « documoqueur ». Alors qu’en France on débat encore sur le bien-fondé de l’intervention de Tapie dans le dernier Lelouch, Altman fait jouer en temps réel (ce que seule la télévision permettait) leurs propres rôles à de vrais journalistes politiques, et même à de vrais candidats, tels Jesse Jackson ou Bob Dole. Ce n’est donc pas une simple parodie type Spinal tap. Altman a le même slogan ambigu que Tanner : « for real » (« pour de vrai »). Ce qui oblige constamment le spectateur à s’interroger sur la frontière entre le vrai et le faux, entre les discours sincères et les plans marketing, entre les vrais amis que le candidat ne peut plus voir et les relations de circonstance. Au fur et à mesure des épisodes, Altman impose brillamment son pari. Sous ses dehors de satire plaisante du monde politique, la série est un vertigineux révélateur du statut ambigu du spectateur et des dangers de la manipulation par l’image. Détail significatif : à la fin de la diffusion de la série, la chaîne HBO a demandé à son public de voter par téléphone pour le candidat de son choix : Tanner arrivait en tête avec 38 %, suivi par Bush 22 %, Jackson 21 % et enfin Dukakis 19 %.
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