Des os, et encore des os. Des sourires figés pour l’éternité. Entre deux montagnes de crânes, une dame en duffle-coat tourne de l’oeil. Isild Le Besco nous a donné rendez-vous dans les catacombes de Paris, à Denfert-Rochereau. La visite a commencé par une fouille des sacs. La jeune femme ironise : “Je me demande bien […]
Des os, et encore des os. Des sourires figés pour l’éternité. Entre deux montagnes de crânes, une dame en duffle-coat tourne de l’oeil. Isild Le Besco nous a donné rendez-vous dans les catacombes de Paris, à Denfert-Rochereau. La visite a commencé par une fouille des sacs. La jeune femme ironise : “Je me demande bien qui voudrait faire sauter une bombe ici.” On acquiesce, à moitié rassurée.
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L’accès aux catacombes se fait par un escalier en colimaçon plus étroit qu’une paille. Des gens remontent à contre-courant, arguant qu’il fait trop noir. Ah bon ? Après dix minutes de descente – une éternité –, on tombe sur cette inscription gravée dans la pierre : “ARRÊTE ! C’EST ICI L’EMPIRE DE LA MORT.” L’actrice-réalisatrice se tourne vers nous : “Je vous trouve vachement pâle.” Et elle ? Même pas peur.
“Ce lieu m’intrigue depuis longtemps. Je n’ai pas de fascination pour la mort, mais c’est bien de savoir sur quoi on marche.”
Elle-même ne l’a pas toujours su, ayant commencé très jeune le métier d’actrice : dans les films d’Emmanuelle Bercot, plus tard sous la direction de Benoît Jacquot, avec lequel elle a tourné six films.
“Quand j’ai commencé à jouer, je marchais à l’instinct. C’est après qu’on apprend. Etre actrice, c’est la pulsion alliée à la technique.”
Une héroïne blonde au royaume des morts
Couloirs sombres et humides. Isild s’arrête devant un tas d’ossements parfaitement alignés : “Je ne comprends pas. Je pensais que ça allait être le bordel. Mais tout est bien rangé.” Notre photographe profite de ce moment de perplexité pour shooter l’actrice sur fond de squelettes.
On se croirait dans un film de genre : l’héroïne blonde au royaume des morts. D’ailleurs, “la mort ne [l’] effraie pas” :
“Je n’ai pas peur du noir, ni de la solitude, ni des maisons de campagne isolées.”
La visite continue. Devant un tas d’ossements provenant du couvent des Carmes (1814), un couple commence à se photographier en faisant des grimaces. Ils tirent la langue, parlent fort. L’ange blond les apostrophe : “Vous ne pouvez pas avoir un peu de respect pour les morts ? » le couple n’en revient pas. Isild trace, furax. On peine à la suivre. A un moment, on pense même l’avoir perdue. Elle réapparaît au détour d’une galerie, diaphane. “Désolée, s’excuse-elle, je ne peux pas faire autrement qu’aller vite. C’est un peu chargé comme lieu.”
Chargé, mais tout indiqué pour l’interroger sur Bas-fonds, son nouveau film après Demi-tarif en 2003 et Charly en 2007. L’histoire, inspirée d’un fait divers, réunit trois filles en marge de la société qui vont basculer dans le crime.
“Depuis le début, je filme des personnages qui ne sont pas éduqués. La seule chose qui les guide, c’est leur instinct.” Isild dit être arrivée au bout d’une “trilogie sur les marginaux.”
Elle parle de “travail sur le langage”, de “sauvagerie”. D’autres mots surgissent, plus surprenants : “la conscience”, et “la bienveillance”. “Ce sont des notions qui m’intéressent davantage aujourd’hui, dans la vie comme au cinéma.”
Notre visite s’achève doucement. A mille pieds sous terre, l’actrice avise d’un regard anxieux l’escalier censé nous ramener à la civilisation :
“Si j’avais su qu’on ferait du sport, je n’aurais pas mangé autant de frites ce midi au Fouquet’s…”
Avant la sortie, un gardien à moustache fouille nos sacs. Isild pouffe : “Je me demande bien qui pourrait voler un truc ici !” Le gardien lui désigne plusieurs ossements et crânes sur la table : “Et ça, c’est rien qu’aujourd’hui !” Nous voici à nouveau dans la rue : tout semble un peu irréel. Sous sa capuche fourrée, Isild nous souffle un petit merci : “Je suis contente d’avoir traversé les couloirs de la mort !”
Emily Barnett
Bas-fonds d’Isild Le Besco, en salle
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