Un inédit de 1988 où il se confirme que Shaji N. Karun, découvert avec Destinée (1994), est le grand cinéaste indien du moment. Beauté du sujet, de la mise en scène ; harmonie parfaite entre le temps, les éléments et les hommes, fétus de paille pris dans la tourmente existentielle. Les personnages principaux un […]
Un inédit de 1988 où il se confirme que Shaji N. Karun, découvert avec Destinée (1994), est le grand cinéaste indien du moment. Beauté du sujet, de la mise en scène ; harmonie parfaite entre le temps, les éléments et les hommes, fétus de paille pris dans la tourmente existentielle. Les personnages principaux un vieil homme, sa femme malade et sa fille tentent de donner un sens à leur vie déliquescente, littéralement, car ils sont environnés par l’eau, menacés par un devenir aquatique ; et métaphoriquement, car ce sont des brahmanes désargentés en pleine décrépitude.
Piravi signifie « naissance » : titre paradoxal puisqu’il est surtout question de vieillesse (celle du père) et de mort (celle du fils). Mais en même temps, selon des critères hindous, la vie est une régénération perpétuelle… Quoi qu’il en soit, le vrai sujet du film n’est pas là. Le noeud dramaturgique, c’est l’attente beckettienne du père qui, pour marier sa fille, compte sur la présence de son fils. Mais celui-ci, victime des tortures de la police, ne revient jamais. Ici tout est en creux ; la fiction c’est le vide. Piravi est un film dénudé jusqu’à l’os où ne subsiste que l’essentiel du cinéma affects, regards, mouvements, durée et où l’homme devient un pur signe qui se fond dans l’immensité.
Bien sûr, on est ému par cet immense amour paternel. Mais en même temps, cette attente sans fin, et presque sans objet, n’est-elle pas allégorique ? En tout cas, c’est presque une forme d’ascèse : plein d’abnégation et d’une grande sérénité, le père reste régulièrement, jusque tard dans la nuit, à l’affût du car qui va peut-être ramener le fils prodigue ; ensuite, tout aussi rituellement, avec résignation, il traverse la rivière. Si cette traversée avec un passeur ressemble à la migration traditionnelle de l’âme vers le pays des morts, c’est également une des figures essentielles de la mise en scène du film. Lenteur, mouvement, latéralité… Comme chez Tarkovski, que Shaji N. Karun admire beaucoup, la quête métaphysique du héros se traduit matériellement par un cheminement constant, près de l’eau, souligné par un travelling. Beaucoup de pluie, mais pas de précipitation. On ne court pas vers une quelconque résolution. La beauté est une leçon de patience. Grâce à Piravi nous entrevoyons un monde évoluant selon un rythme biologique et sensoriel, loin de l’agitation vaine et forcenée de notre société narcissique.
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