L’auteur des biographies de Truffaut, Godard et Rohmer s’intéresse cette fois-ci à Chabrol pour un résultat très estimable bien que sans surprises.
Voilà la boucle bouclée, dira-t-on. Même s’il manque encore le plus secret, Rivette, mais il l’est justement peut-être un peu trop pour l’exercice. Antoine de Baecque a traduit en biographie les vies des quatre coins du carré d’as de la Nouvelle Vague. Après Godard, Truffaut et Rohmer (co-écrit avec Noël Herpe), il publie ce mercredi 22 septembre un livre sur Claude Chabrol.
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Dualités
C’est le plus populaire de tous, à la fois en termes d’entrées cumulées (bien aidé par le nombre pléthorique de ses films, mais avec tout de même quelques gros succès comme Le Beau Serge, Les Cousins, Le Boucher, Madame Bovary ou des objets commerciaux plus oubliés comme Docteur Popaul ou la série des Tigre) et de notoriété personnelle. Chabrol a, à l’instar d’Alfred Hitchcock, entretenu son propre personnage, mélange de bon vivant inénarrable et de chroniqueur balzacien apparaissant dans des publicités ou dans ses propres bandes-annonces (Poulet au vinaigre).
Le livre trouve peut-être moins que les trois précédents un levier clair de fascination dans son sujet. À défaut, il se concentre sur ses ambivalences et dualités. Une stratégie un peu facile quand elle débouche sur de relatives banalités : Chabrol était un joyeux bouffeur mais il cachait ses anxiétés et ses colères ; il vivait bourgeoisement et cultivait un cynisme politique mais il a plusieurs fois manifesté son profond et sincère gauchisme révolutionnaire, à mai 68 par exemple… Mais elle est réellement payante quand elle inspire à de Baecque d’authentiques saillies et trouvailles. Sur la coexistence de ses vies publique et personnelle, notamment.
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Dès les années 1950, époque Cahiers (où il écrit en réalité peu, et assez nonchalamment) et Fox (où il officie comme attaché de presse et intègre les rudiments de la communication avant sa future carrière de réalisateur), il est l’opposé d’un mondain, riche patriarche neuilléen père de deux fils. À l’instar de son camarade Rohmer, deux existences inconciliables se partagent la sienne. À l’inverse du “grand Momo” (surnom célèbre qui vient de Chabrol) qui les maintient hermétiquement séparées, “Chacha” les mélange totalement, génialement, sans gêne aucune. Les camarades les plus sulfureux traînent à la maison; lui emmène toute la petite famille à Cannes. “Il avait deux vies, mais il n’en cachait aucune”, résume malicieusement De Baecque.
Catalogue de fiches
Il n’empêche que se dégage de cette biographie – certes extrêmement dense et instructive – un petit manque : une difficulté à transpercer le personnage, à transcender le mode opératoire inévitable consistant à suivre le fil chronologique des fabrications de films et aboutissant de fait ici (dû au rythme vertigineux de Chabrol) à un catalogue de fiches risquant de donner le tournis avec leurs sommaires métronomiques répétés 80 fois. Financement, écriture, casting, préparation, tournage, sortie, accueil critique… Le livre parle très peu de montage, étape qu’il accuse à un moment Chabrol de dédaigner.
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Un degré de transfiguration du sujet dont le manque peut s’expliquer par le caractère froid et érudit de la matière première (de Baecque a beaucoup lu mais n’a, semble-t-il, pas parlé directement à personne) et qui fera sans doute trop défaut pour les chabrolien·nes fanatiques. Ils·elles trouveront néanmoins ici une précieuse et respectable compilation de ce qu’ils·elles savaient en partie déjà. Les autres se délecteront d’un ouvrage d’assez bonne tenue pour jouer son rôle annoncé de biographie référence.
Tous·tes auront sans doute en commun tout de même quelques images et émotions vibrantes, comme celle d’un Claude Chabrol se sachant condamné et, à quelques jours de sa mort d’un cancer détecté bien trop tard, s’oublie d’un air maussade devant des films de Georges Méliès sur sa télévision.
Chabrol : biographie (Éditions Stock) d’Antoine de Baecque. 624 pages, 32 €.
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