Revisitant le principe de la boucle temporelle façon “Un jour sans fin”, les auteurs lyonnais de “Dishonored” signent la sensation vidéoludique du moment.
Des boucles, encore des boucles, partout des boucles. De Hades à Returnal, de Spelunky à Road 96, des purs roguelikes aux jeux offrant leur interprétation singulière d’éléments clés du genre (les retours au point de départ, la génération procédurale des niveaux…). Le jeu vidéo semble être entré dans l’ère de la répétition assumée. Une manière, aussi, de renouer avec ses origines : l’arcade, les jeux sans sauvegarde intégrée dont chaque partie était un nouveau commencement avec pour objectif de faire mieux que la fois d’avant. Ce programme, c’est aussi celui de Deathloop des Lyonnais d’Arkane Studios, dignes héritiers des pionniers Looking Glass et Ion Storm. Cette spectaculaire nouvelle production pousse l’audace conceptuelle, jusqu’à en faire son sujet même.
La quête du run parfait
Vous êtes Colt, un homme apparemment condamné à revivre sans cesse la même journée. Chaque matin, il se réveille sur la même plage, tente de retrouver ses esprits et repart à l’aventure sur l’île de Blackreef où il a atterri. Car en ces lieux singuliers – dont on ne sait trop s’ils sont le cadre d’une fête sans fin ou d’une guerre –, les choses fonctionnent bizarrement. Déjà, une certaine Julianna nous parle, et se moque, tel l’IA de Portal (mais en plus grossier). Au début, on ne sait d’elle à peu près rien, si ce n’est qu’elle semble bien nous connaître. Et puis, il y a ces messages qui s’affichent à même l’écran, comme en superposition des décors, et qui, eux aussi, se fichent un peu de nous.
Mais le plus surprenant est sans doute cette possibilité qui nous est bientôt offerte de choisir la bulle d’espace-temps dans laquelle se projeter – dans les limites, bien sûr, de cette unique journée – sachant que, tant qu’on y restera, le temps ne passera pas, et que l’idée générale sera de jongler entre les différentes zones et les moments de la journée pour, notamment, provoquer ou éviter certains événements. L’objectif : acquérir une connaissance et une maîtrise suffisantes de tout (les environnements, leurs secrets, nos équipements…) pour réussir le run parfait, c’est-à-dire assassiner les huit maîtres désignés des lieux (les “Visionnaires”) dans la même journée, et se libérer en conséquence de la boucle.
>> À lire aussi : Avec “True Colors”, “Life is Strange” touche toujours en plein cœur
Méta
Ça paraît complexe ? Ça l’est. Deathloop, plus proche par son esprit puzzle d’un Return of the Obra Dinn avec un rien d’Hideo Kojima dedans pour les fulgurances méta (mais pas seulement) que d’un FPS lambda, n’est pas de ces jeux qui s’appréhendent distraitement. Mais cet exemple rare de blockbuster expérimental à la direction artistique aussi emballante (dans un esprit sixties) que son level design se révèle également un jeu paradoxalement très accueillant.
Tout est fait pour qu’on aille à notre rythme, qu’on invente notre propre façon de traverser et conquérir ce monde d’une fausseté éclatante et pourtant merveilleusement concret et pesant. C’est un piège retors, une machination subtile mais aux rouages apparents, un grand show dont la seule chose certaine est qu’on y occupe une place de choix. C’est l’ultime paradoxe de ce jour en forme de cauchemar sans fin : dans sa boucle maudite, on se sent vraiment bien.
Deathloop (Arkane Studios / Bethesda Softworks), sur PS5 et Windows, environ 60 €