Quarante ans après sa création, FIP reste une oasis à l’abri du vacarme. Fidèle à son éclectisme fondateur, elle explore l’histoire et l’actualité de toutes les musiques et rassemble les publics à partir d’une simple promesse : un mélange surprenant des genres.
Pour survivre, les radios sont tenues au principe d’évolution permanente : recruter et virer des animateurs, bouleverser les grilles, reconstruire sans cesse une identité sonore… Tels des organismes vivants, angoissés par leur vieillissement, toutes se font des liftings et s’adaptent aux nouvelles pratiques d’écoute. Sauf une : FIP qui célèbre le 5 janvier 2011 le quarantième anniversaire de sa création.
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A l’époque, deux célèbres producteurs de France Inter, Jean Garetto et Pierre Codou (L’Oreille en coin…), voulaient une radio de services et d’accompagnement pour Paris (d’où France Inter Paris). Quarante ans plus tard, à rebours de la tendance générale de la radio, FIP n’en fait qu’à sa tête, telle une station éternelle sur laquelle le temps n’a pas de prise. Ses auditeurs ne lui demandent qu’une chose : surtout ne toucher à rien de son édifice. Un îlot de résistance dans le paysage radiophonique, une humble exception culturelle.
Depuis sa naissance, rien ou presque n’a de fait bougé chez elle, comme si son identité immuable résistait à son environnement, à l’effet d’usure. On l’écoute en 2011 comme en 1981 ou en 1971 : avec le même sentiment d’une caresse sonore qui apaise les blessures du vacarme ambiant. Sa vitalité intacte naît de sa force d’inertie, son éternel recommencement tient au génie de son ADN, à l’éternité d’une idée radiophonique toute simple qui fait de son écart avec la norme la condition de son succès.
Quatre millions de morceaux en 40 ans
Rétive à l’ordre publicitaire (un désordre pour les oreilles) et aux voix masculines, FIP attire vers son île aux trésors les auditeurs échoués dans l’océan dissonant de la musique FM. Sur ses rives, on se sent à l’abri du mauvais goût : le seul risque consiste à laisser son écoute captée, voire dérangée, par des genres ou des artistes peu familiers. Quelle autre radio peut associer, à travers un art de l’enchaînement audacieux, Pete Yorn et Gabriel Fauré, Them et Lily Allen, Chico Buarque et Boby Lapointe, Antônio Carlos Jobim et Jane Birkin, Vivaldi et Chet Baker, Bernard Herrmann et Bumcello, Haendel et Alela Diane… Le tout au cours d’une même heure d’écoute ?
Pour Julien Delli Fiori, un ancien de la radio, longtemps animateur de Jazz à FIP, nommé l’an dernier directeur de FIP par Jean-Luc Hees, ce qui compte est de « raconter une histoire ». Par tranches de trois heures, chacun des six programmateurs maison, qui tiennent leur propre blog, propose sa propre signature au coeur d’un cadre éclectique imposé.
Julien Delli Fiori avoue reconnaître à l’écoute le style de chacun d’entre eux. Une performance lorsqu’on sait que plus de 300 titres sont diffusés chaque jour. Soit 27 000 titres par an, puisés dans l’immense discothèque de Radio France (la plus importante de France), où plus d’un million de morceaux sont conservés. Ce qui d’après les calculs de Delli Fiori représente sur quarante ans pas moins de « 4 380 000 thèmes fleuris sur FIP ».
Pas de Schubert après Mozart
Depuis son arrivée à la tête de FIP, à la place de Dominique Pensec, Delli Fiori a exhorté les programmateurs à éviter « les tunnels », à mieux travailler encore les enchaînements pour éviter les sensations de répétition ou de fixation sur un genre : après un Ornette Coleman, autant éviter un John Coltrane, après un Oasis, un Blur serait malvenu, après du Mozart, surtout pas de Schubert…
L’équilibre sonore de FIP joue sur ces contrastes, mais aussi sur ses effets de correspondance. Un programmateur de FIP n’a pas l’ambition d’un DJ censé agiter ses convives : son but, à la fois plus modeste et complexe, est d’explorer l’histoire de la musique et son actualité pour accompagner par des détours multiples les auditeurs égarés dans les embouteillages de la FM. A contre-courant de la radio actuelle dominée par l’éclatement clanique de ses genres, FIP assume le risque de réunir des publics que tout sépare a priori : ses auditeurs acceptent de mêler à leurs fixations musicales le principe de découverte, fût-il décevant. En écoutant FIP, l’ennui possible est toujours troué par de divines surprises.
« La radio fait rêver », affirme Delli Fiori, convaincu après ses quarante ans de service pour la radio de service public d’être beaucoup plus riche musicalement. Sur FIP, les agents du rêve ont une voix d’ange féminin : celle des fameuses « fipettes » qui n’adorent d’ailleurs pas leur surnom pourtant bourré de l’affection d’auditeurs enivrés par leurs chants de sirène. Surgissant au hasard de la programmation, pour nous susurrer quelques informations pratiques ou bons mots bienveillants, l’effet de signature de ces voix reste si fort que désormais, même les flashs d’information, autrefois réservés à des hommes, sont pris en charge par des femmes.
Un ton « plus insolent »
Sur FIP, le féminisme n’est pas un slogan, c’est un paysage sonore, plein et entier. Mais, comme le souligne l’une des plus anciennes animatrices, Jane, le ton des fipettes a changé.
« Avant, on détimbrait la voix, on travaillait sur le souffle, pour lui donner une voix d’aéroport ; désormais, le ton est plus direct, plus insolent ; on concentre plus notre rôle sur le contenu de nos textes, sur la complicité avec l’auditeur. »
Moins planantes, les voix de FIP sont plus bigarrées, à l’image d’une radio autant soucieuse de se détacher de ses étiquettes que fidèle à ses origines.
Durant tout le mois de janvier, des dizaines de musiciens joueront dans un studio éphémère à la Maison de la Radio pour célébrer un anniversaire d’une maison « mère » de la radio française, qui dans ses marges, a écrit l’une de ses pages les plus attachantes.
Jean-Marie Durand
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